Allocution de Mme Cristina Robalo Cordeiro, Vice-Rectrice de l’Université de Coimbra, lors de la signature de convention de coopération avec l’Université de Coimbra et l’Institut Camoes

Cette allocution a été présentée lors de la cérémonie de signature de convention de coopération entre l’Université Chouaib Doukkali et l’Université de Coimbra, l’Institut Camoes et la Délégation régionale du ministère de la culture d’El Jadida

Chers Collègues,
Mesdames et Messieurs,

Dans sa Muqaddimah, le célèbre Ibn Khaldo»n, dégageant la loi biologique de l’Histoire Universelle, écrivait ceci : « Les empires comme les individus ont une vie, une existence qui leur est propre. Ils grandissent, ils arrivent a l’âge de la maturité, puis commencent a décliner. »

Ces lignes, que j aimerais pouvoir citer dans leur version originale mais que j emprunte a la traduction de Vincent Monteil, datent du XIVe siècle et semblent prophétiser la rapide ascension et le brutal évanouissement de la puissance portugaise, de la fin du Moyen Age a la fin de la Renaissance. En réalité, le grand historien pensait surtout au destin dialectique de sa propre civilisation qui, après un fabuleux essor de sept siècles, se rendait compte que, pour renaître un jour, il lui fallait d’abord mourir.

Mais entre les dynasties médiévales du Maghreb et la dynastie portugaise des Avis une sorte de solidarité rétrospective semble bien s’établir : nous regardons aujourd hui avec la même admiration, peut-être la même « saudade », les vestiges d’une grandeur commune dont le secret s’est perdu.

Un lieu comme celui qui nous accueille ce matin est particulièrement propice a la rêverie historique comme a la méditation sur la vanité des choses humaines. Il est difficile de ne pas songer ici aux villes de Pompéi et d’Herculanum, a cette différence près que ces cités romaines ne sont plus animées que par les fantômes et les touristes.
L’ancienne forteresse de Mazagan, au contraire, n’a pu repousser la vie hors de ses murailles et il est bon de voir ces ruelles aux noms portugais égayées par des jeux d’enfants marocains.

Lors de ma première visite a El Jadida, a une époque déja lointaine, où je ne pouvais pas imaginer que je reviendrais un jour dans des circonstances aussi solennelles, je me souviens d’avoir été partagée entre l’appel vertigineux du passé – d’un passé national magiquement surgi sous mes pas – et l’appel de la vie lancé par les cris d’une jeunesse joyeuse et insouciante. Permettez-moi de rapporter un fait curieux, que les surréalistes auraient attribué au « hasard objectif » : en entrant dans la première boutique d’artisanat qui s’offrait a ma curiosité, je tombais aussitôt sur un livre familier, écrit par un collègue de l’Université de Coimbra, le Prof. Romero Magalhes, historien de l’expansion maritime portugaise. Quelques minutes après, j étais juchée sur un vélomoteur, m accrochant a la djellaba de mon commerçant qui m emmenait a folle allure vers la caisse automatique où j allais pouvoir lui régler mes achats.

Ce contraste entre, d’une part, le sentiment, tragique, de l’histoire et, d’autre part, la sensation, capiteuse, du présent le plus pressant me rend le Maroc plus cher qu aucun autre pays.

Vous m excuserez de parler sur un registre aussi personnel dans une allocution officielle, mais il m est impossible de faire abstraction d’un vécu où je puise toutes les raisons de croire a la réussite du projet de coopération universitaire dont cette cérémonie est la formalisation politique.

Par une espèce de déformation professionnelle, je ne vois plus aujourd hui dans les enfants, au Maroc comme ailleurs, que de futurs étudiants.

Et, pourquoi pas, de futurs historiens. En tout cas de futurs citoyens d’une communauté transnationale, la cité scientifique, où se composent, dans la joie du travail, le respect du passé, d’un passé de mieux en mieux connu et compris, et le souci d’innovation technologique, d’une innovation maîtrisée et éclairée.

La mise en œuvre archéologique du patrimoine luso-marocain ne se destine pas seulement en effet a satisfaire notre curiosité en mettant au jour des aspects oubliés ou négligés de notre histoire commune qui s’en trouvera peut-être réinterprétée, ni a répondre aux demandes croissantes du tourisme culturel dont l’importance économique est évidente.

La justification ultime, la finalité la plus noble de l’entreprise qui s’inaugure aujourd hui réside dans la conjonction des efforts et des échanges intellectuels et humains qu elle implique. Autrement dit, l’enjeu le plus décisif de cette collaboration, c’est la recherche, c’est l’enseignement, c’est l’Université.

Vous m excuserez maintenant de parler sur un registre aussi académique d’un protocole dont nos Gouvernements ont de légitimes raisons de penser qu il intéresse les relations mutuelles de nos deux pays a une multitude de points de vue extra-universitaires.
Mais venant représenter l’Université de Coimbra et parler en son nom, devant les autorités de l’Université d’El Jadida, il ne me semble pas déplacé de souligner les intérêts spécifiquement heuristiques et éducationnels de l’accord que nous célébrons.

L’inventaire du patrimoine documentaire, puis le relevé du patrimoine archéologique vont exiger des trésors de patience, d’application méthodique et d’étude rigoureuse. On doit s’attendre a toutes sortes de surprises, a toutes sortes de difficultés car, contrairement a une idée répandue, le travail des historiens comporte ses risques et ses dangers.

Mais les étudiants et les enseignants qui s’engageront dans cette aventure y gagneront davantage que l’enrichissement de leur Curriculum Vitae : les découvertes, les publications, les mastères qui sanctionneront leur travail n’en seront pas la plus haute récompense.

Il y aura surtout la fierté d’avoir participé a une œuvre scientifique commune sur un terrain paradoxalement mal connu et où il y a beaucoup a apprendre.
c’est, sans métaphore, un vaste chantier qui s’ouvre devant nous, devant nos chercheurs, nos enseignants, nos étudiants. Il faut donc rendre grâce a notre lointain Passé, parfois si brutal, de frères ennemis de nous donner cette merveilleuse occasion de vivre a nouveau ensemble, mais dans l’amitié de l’intelligence, les années futures.

El Jadida, le 8 octobre 2008

Cristina Robalo Cordeiro
(Vice-Rectrice de l’Université de Coimbra)


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