Le texte qui suit est une compilation de plusieurs textes rédigés dans des conjonctures quelconques en des temps différents entre 2001 et 2005 quand j étais en exercice a Rissani. J en ai fait une sélection et une fusion pour constituer ce que je crois être utile pour servir les intérêts d’une ville qui nous est chère et qui a du mal a s’épanouir.
S il est un devoir de rendre public mon savoir de spécialiste et de responsable et de sensibiliser tout le monde a la question de la mémoire et du patrimoine local et national, notamment celui d’origine portugaise au Maroc, je saisi l’occasion de la tenue de la deuxième édition du Printemps d’Azemmour, festival par rapport auquel je n’ai aucune relation, pour divulguer cet article sur cette ville où j avais l’habitude de me recueillir entre 1991 et 2000 avant d’y revenir définitivement depuis début 2007. Que l’on sache par les présentes que j ai décidé de ne plus jamais quitter Doukkala.
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«De la ville d’Azemmour au village de Fès». c’est l’expression qui, outre quelques exagérations, nous renseigne sur l’ancienneté historique véridique d’une ville qui, durant deux millénaires, restera au cœur de l’histoire de Doukkala et du Maroc. Azemmour Lahder (Azemmour la citadine) en dit beaucoup.
Azemmour est une ville séculaire et s’enorgueillit de sa situation privilégiée sur les bords de l’Oum er-Rabi , le deuxième plus important fleuve du Maroc. Ce fleuve, dont la pêche des aloses fait sa réputation depuis des temps immémoriaux, coule des monts de l’Atlas jusqu aux pieds des remparts d’Azemmour d’où l’on a aussi une vue sur des espaces verdoyants et sur la jetée du fleuve dans l’océan, l’estuaire. Ce beau site se situe donc sur la rive Sud de l’Oum er-Rabi , a 1Km de l’océan. Il est a 80Km au Sud de Casablanca dont la liaison est assurée par une route côtière et par la Nationale n8 (Casablanca – El-Jadida) et a 17Km au Nord d’El-Jadida que des mêmes routes assurent la liaison avec Marrakech et Safi, respectivement a 214 et 174Km d’Azemmour. l’extension de la ville nouvelle bute, au Sud, sur une immense forêt que le Golf Royal vient d’embellir plus et de lui donner un caractère pittoresque et hautement touristique. La prestigieuse plage d’El-Haouzia, limitée par la forêt a l’Est, s’étend de l’estuaire jusqu a la plage d’El-Jadida au Sud sur environ 15km et où émergent aujourd hui les premières installations touristiques haut de gamme de la Station balnéaire “Mazagan”.
HISTOIRE ET FORMATION
Azemmour, mot d’origine berbère qui signifie olivier sauvage, surplombe le fameux fleuve d’Oum Errebia, le fleuve Azama, Azana ou Anatis flumen des textes latins autrefois navigable et dont la pêche des aloses est restée répandue jusqu a il y a moins de 30 ans. Si rien n’est archéologiquement concret sur le passage des Romains, les navigateurs phéniciens bien avant eux avaient s»rement escalader le fleuve et explorer son estuaire. Sur l’emplacement de la cité d’Azemmour il devrait donc y avoir a l’époque antique un comptoir phénicien et certainement pas romain. Cette installation sombre dans l’oubli ou le délaissement jusqu aux environs du VIIIème siècle quand Azemmour sera gouvernée par d’illustres chevaliers arabes. Le passage de Oukba et de Moussa ben Noussair, les deux vétérans de la conquête islamique, est attesté. Oukba y aurait même construit une mosquée nous dit-on. Le futur grand Calife Omar ben Abdelaziz aurait peut-être effectué une mission a Azemmour, envoyé par Moussa.
La ville est au cœur des événements du IXème siècle où elle apparaît au premier plan du territoire de Tamesna, fief du royaume dissident des berbères Berghouata qui ne seront soumis que sous les Almohades au XIIème siècle. c’est en ce dernier siècle en fait que les informations sur Azemmour font figure de véritables récits historiques.
Azemmour prend de l’ampleur sous les Idrissides puis beaucoup plus sous toutes les dynasties suivantes : Almoravides, Almohades, Merinides, Saadiennes et Alaouites. Les monuments actuels de la médina d’Azemmour portent la marque de toutes ses dynasties, marque mêlée aux témoins tangibles de l’architecture portugaise et par la de l’architecture européenne de la Renaissance.
A l’arrivée des Portugais, vers la fin du XVème siècle, Azemmour fut dune très grande importance que les récits de l’époque décrivent comme ville fortifiée et comptant plusieurs dizaines de mosquées, élément qui peut renseigner sur les dimensions de la cité et sur le nombre d’habitants en cette date. Selon Léon l’Africain, elle comptait cinq mille feu juste avant l’occupation portugaise en 1513. Avant cette occupation, les Portugais fréquentaient Azemmour où ils pêchaient ou achetaient les aloses. En 1486, après plusieurs tractations, les habitants deviennent des vassaux de la couronne de Lisbonne par un traité de suzeraineté. Suivirent ensuite des expéditions en vue de prendre la place, ce qui fut fait le 3 Septembre 1513. Cependant, la présence portugaise va vite se solder par un échec et, par conséquent, l’abandon de la ville en 1541. Les Marocains prirent la place et la repeuplèrent de nouveau. Un développement urbain s’en suivit surtout dans la partie orientale de la cité qui en constitue la plus grande superficie. c’est l’actuelle médina qui fait face a la Qasba, qui fut le réduit portugais et devint plus tard le Mellah (quartier des juifs marocains) ; toutes les deux parties sont inclues dans les remparts islamiques d’avant l’époque portugaise.
DESCRIPTION
Les remparts, déja fortifiés de plusieurs tours avant l’occupation portugaise, font 800 x 200m et englobaient des services publics, des maisons et des mosquées. l’immensité de la ville n’arrangeait pas tellement les conquérants, et le Roi de Lisbonne de décider d’y aménager un réduit maîtrisable et défendable. On y construit ainsi vers la partie West une muraille reliant les remparts Nord et Sud pour constituer une petite cité où devait vivre la garnison, en laissant le reste de la médina aux juifs et aux marocains de paix (mouros do pax) ainsi que pour servir de champs de culture. Les habitants portugais n’ont pas tout a fait répondu a la décision royale et plusieurs d’entre eux ont continué de vivre dans la médina jusqu a l’évacuation de la place en 1541.
Pour entrer dans le réduit portugais il fallait d’abord passer par la porte du nom actuel de sidi el-Mokhfi (le saint caché ?), ouverte dans la partie hors du réduit, avant d’atteindre la porte principale aménagée au milieu du mur dudit réduit. Cette porte portugaise a l’intérieur de la cité, qui se fermait par une herse, s’impose par ses deux arcs moulurés en pierre de taille, surmontés par des motifs décoratifs en pierre et par des fenêtres dont l’état de conservation est actuellement moins satisfaisant.
Les remparts de la ville, y comprit le réduit portugais, qui gardent leur facture islamique et qui possédaient un chemin de ronde qui en faisait le tour, ne sont pas de ce fait de la largeur habituelle des murailles des fortifications portugaises. Le chemin de ronde ne fait en fait que 2m de large. Ce chemin présente cependant une caractéristique portugaise qu est l’absence du parapet intérieur. Ce petit mur qui devrait, a l’époque islamique auparavant, mettre les habitations a l’abri des regards indiscrets, a été rabattu sous domination portugaise. Si a Mazagan les Marocains ont reconstruit ce parapet interne a la reprise de la place, il n’en fut pas le cas a Azemmour.
On accède au chemin de ronde a Azemmour par un escalier situé près du bastion sans nom, entre celui-ci et borj Hfir, comme on peut y accéder a partir du Bastion Saint-Christophe. Si ce chemin n’est pas apparent ou il n’existait même pas sur le rempart longeant le fleuve ainsi que sur le mur du réduit, il fait néanmoins le tour de toute la ville en passant respectivement par le bastion Sidi Oua doud, borj el-Ouasti, bastion S-Christophe et se prolonge au-dela du réduit portugais sur l’ensemble de la médina jusqu au borj dit de Derb el-Fougani (high street) a l’angle S-E et tourne vers le Nord pour atteindre la tour cylindrique de l’angle N-E surplombant le fleuve.
Les remparts furent dotés d’un glacis et entourés a l’époque portugaise par un fossé qui a été comblé a une date postérieure. Il fut creusé dans le roc, sur une roche vive. n’étant pas rempli en entier, on peut de nos jours l’apercevoir au bas du rempart N-W. regardant la forêt et l’océan et aussi au pied du glacis de la muraille S-E de la médina, Bab Jiaf, en descendant vers le fleuve.
Au-dela du réduit proprement lusitanien, les murailles et tours islamiques de la ville portent la marque des aménagements portugais. Pour certaines, les étroites meurtrières ont été transformées en canonnières et pour d’autres, les rajouts sont structurelles. En l’occurrence, le gigantesque glacis de la tour N-E qui surplombe le fleuve est certainement portugais. Il en est de même pour la tour demi-ronde qui flanque la porte dite de Dreb el-Fougani ouverte au pied du borj S-E dit Bab Jiaf. La tour rajoutée présente un glacis sur plus du tiers (1/3) de sa hauteur et deux niveaux de canonnières. Au sommet, apparaissent des retouches islamiques d’époque post-portugaise.
La Capitainerie (ou Bastion saint Christophe), le Bastion Sidi Ouadoud, la tour qui amorce le réduit défensif et la porte même de ce réduit de la garnison, ainsi que les canonnières sur la muraille et les tours témoignent tous de l’épopée de ce petit pays qui a imposé sa loi et sa culture a un grand nombre de contrées dans le monde.
SENSATIONS ET EMOTIONS
Les façades des bâtiments et monuments, le dédale des rues et ruelles de la médina, ajoutés a l’allure sans égale de la muraille, tous ça nous met devant une synthèse fortuite mais historiquement raisonnable de l’architecture berbère, islamique, européenne, civile et militaire, une synthèse bien réussie qui illustre bien l’histoire universelle de cette ville qui a connu la cohabitation des trois religions révélées, la coexistence de peuples de races différentes. c’est a Azemmour où l’on peut voir sur un monument le cachet marocain suivi par la marque portugaise laquelle est émaillée ensuite par un retour réussi du made in Morocco. A ce titre, il suffirait de contempler la muraille sublime et ses tours sensuelles et ses bastions imposants pour pénétrer l’âme de ce géni et l’âme de cette ville éternelle et cosmopolite.
Le sacré et le mystique entourent Azemmour de tout coin. Une sensation particulière et attachante prend tous visiteurs de la ville. l’histoire de Moulay Bouchaib et Lalla Aïcha Al Bahriya continuera d’enflammer les sens et de régner sur toutes les générations et sur tous les hôtes de la ville de Moulay Bouchaïb.
La nature rajoute a ce romantisme ou elle en est l’essence peut-être. En effet, l’embouchure d’Oum Errabia et la plage et forêt de Haouzia créent une sensation particulière chez l’habitant et le visiteur. Est-ce cela, ajouté a une longue et riche histoire, qui donnera une floraison artistique qui dépasse de loin les dimensions urbanistiques d’une si petite ville !! Azemmour sera un fief du Malhoune parvenu de Tafilalt, un lit fécond des arts plastiques que nous illustrent Chaïbia, Habbouli, Al Azhar entre tant d’autres. Elle allaitera le grand penseur et historien de la Méditerranée et du monde arabe, Abdallah LAROUI. Azemmour, avec Sidi Bennour, tient aussi le flambeau de la Aïta de Doukkala, en parallèle avec la Aïta de Abda. Azemmour rassemble également tout le prestige des arts traditionnels de Doukkala, en témoignent la tapisserie, la broderie, l’art culinaire, le tatouage,,,. Le dragon brodé en grenat, que les Marocains ne connaissent pas bien malheureusement, est un symbole d’une culture raffinée et d’un savoir-faire sans égal d’une région qui doit se sentir timide en comparant son présent a son passé.
Enfin, on est dans l’obligation d’apprendre a tout le monde que les côtes des Etats-Unis d’Amérique actuels, furent découvertes par un Marocain, un Azemmouri de surcroît. Rebaptisé Estebanico, Mostapha (Ben Haddou ?), était cet esclave marocain revendu sur le marché espagnol. Il accompagnera son nouveau maître, un gentleman aventurier parti en quête de la rivière de l’or dans la nouvelle Amérique. Les galériens succomberont, ainsi que les maîtres aux vagues de l’Atlantique et aux attaques des Indiens. Notre Azemmouri prendra les commandes après la mort de son «propriétaire». Par son intelligence marocaine il s’imposera en tant que chef, gagnera les âmes des Indiens qui le couvrirent des plus beaux cadeaux du monde, leurs filles en l’occurrence. La rivière d’or se révèle un mythe, l’on découvre néanmoins ces nouvelles côtes des Indiens du Nord (Actuel USA), mais c’est aussi l’intelligence du marocain qui finira par mettre fin a sa vie. Les Indiens avaient jugé qu il les a trahi par ses manies. En commémoration de cette épopée, les Américains ont élevé récemment une statue a son effigie avec les douze grands maîtres de navigations des siècles de la Renaissace.
CONCLUSION
Cette diversité architecturale d’Azemmour est en fait des pages écrites d’une histoire aussi riche que variée. Le grand fleuve d’Oum er-Rabi, creusé par la nature, a eu un grand effet sur l’installation humaine depuis l’apparition de l’Homme. l’Homme préhistorique nous a laissé des traces dans la région, a savoir dans les grottes d’el-Khenzira a Moulay Abdallah (ancien Ribat Tit) a 25km au Sud d’Azemmour. Les Hommes d’el-Khenzira et leurs prédécesseurs ont s»rement connus et exploité les richesses de l’Oum er-Rabi. Ne s’y sont-ils pas installés ? l’état actuel des recherches archéologiques ne permet pas encore d’y répondre.
Au demeurant, Azemmour est bien chargée d’histoire et de mémoire, riche de témoins archéologiques et architecturaux locaux et étrangers et porte le cachet d’une ville marocaine berbère, islamique et juive et s’enorgueillit aussi de sa belle silhouette (well-dressing) portugaise. Elle est aussi le bateau qui conduira le fameux Estebanico a la découverte des côtes des USA actuels.
Azemmour c’est également un tableau d’une mémoire artistique millénaire en devenir a travers l’art culinaire (Couscous et autres), l’art du henné et la finesse de la tapisserie et de la broderie que les femmes transmettent aux filles par initiation. c’est encore une fois un pays d’érudits et de saints immortels. Azemmour est une ville mystique éternellement gardée par Moulay Bouchaib et Lalla Aicha al-Bahria, sous le regard lointain de Moulay Abdallah Amghar.
Bonne balade
Par : Aboulkacem CHEBRI
Archéologue restaurateur
Directeur du Centre du Patrimoine Maroco-Lusitanien
El Jadida (Maroc)
e-mail : [email protected]
Eljadida.com