Colloque en hommage a Abdelkebir KHATIBI de l’Université IBN TOFAIL de KENITRA sous le thème: « INSCRIPTIONS DE LA TRACE KHATIBI OU LA PENSEE DES INTERSTICES »
L’aubainePartir a la redécouverte des traces d’Abdelkebir KHATIBI, a 250 Km d’El Jadida, sa ville natale, exactement a KENITRA, avec l’ami EL HACHLAF Mostafa, jdidi et spécialiste de Jacques DERRIDA.
Dans ce voyage initiatique, on part a la recherche des fragments d’une pensée monde, une œuvre riche et colossale, devenue aujourd hui incontournable pour un grand nombre de chercheurs en sciences sociales. c’est en effet l’occasion de rendre compte de l’hommage posthume au Maître penseur, dont l’ombre vacillante trône encore a ce jour, majestueuse, sur le sérail de l’univers orphelin de la recherche Khatibienne.
A l’arrivée dans la capitale du Gharb, Mr MUSTAPHA BENCHEIKH, l’auteur de « l’université marocaine a l’épreuve »* nous accueille avec le sourire habituel du comité d’organisation, souhaitant la bienvenue aux deux messagers de MAZAGAN, représentants de sa mémoire collective.
L’événement est de taille : un colloque international les mardi 16 et mercredi 17 mars 2010, organisé a l’Université des Lettres et des Sciences Humaines par le Laboratoire des Etudes Pluridisciplinaires (LEP) et la Coordination des Chercheurs en Littératures Maghrébines et Comparées (CCLMC) sous le thème : « Inscriptions de la trace KHATIBI ou la pensée interstices ». Le lieu est magique, a la hauteur de la commémoration du 1er Anniversaire de la mort de Khatibi (jour pour jour), une grande salle au siège de la Présidence de l’Université, entourée de verdure et de plein air.
Mardi matin, dans son discours inaugural, Mohamed MESSAOURI Président de l’Université Ibn Tofaîl se souvient de Abdelkebir KHATIBI l’écrivain, le penseur, le manager et l’ami, qui dit-il « a marqué de son empreinte la vie intellectuelle et littéraire tant au Maroc qu a l’échelle internationale ».
Au nom du comité d’organisation, Mme ASSIA BELHABIB nous rappelle dans son allocution d’ouverture que « La dernière fois qu une université marocaine a rendu hommage a l’écrivain Abdelkebir KHATIBI, c’était a El Jadida dans sa ville natale, en mars 2008, en présence de l’auteur. Aujourd hui, c’est l’Université Ibn Tofaîl qui reprend le flambeau, mais sans la personne de l’écrivain qui a quitté la terre des hommes, il y a exactement une année. La vie est ainsi, pleine de mystère et de coïncidences qu il nous appartient de décoder » l’auteure de « La langue de l’hôte** » nous précise que l’actuel colloque « est la première manifestation a caractère académique où politiciens, écrivains, sociologues, artistes, universitaires, journalistes et photographes, se mobilisent ensemble pour rendre un hommage vibrant a celui dont, tous, nous regrettons la disparition soudaine et pourtant, programmée ».
Mme ASSIA BELHABIB parle d’un penseur qui a tatoué les mémoires : « KHATIBI nous manque, accompagne notre pensée et nos lectures car il a légué une œuvre colossale, dense et magistrale. Rendons lui un vibrant hommage, dans cette atmosphère solennelle et cependant conviviale, baignée de l’aimance de celui qui veille outre-tombe »
Mr Abdallah ALAOUI MDAGHRI au nom du CCLMC et du comité d’organisation nous rappelle a son tour, que ce colloque coïncide avec le 20ème anniversaire de la naissance de l’Université IBN TOFAIL, et parle avec une grande émotion de la perte d’Abdelkebir KHATIBI dont la présence continue a nous hanter, laissant un grand vide derrière lui.
Mr BENCHEIKH Mustapha coorganisateur de l’événement et ancien doyen de la Faculté des lettres de Béni Mellal, voulait rendre un hommage appuyé au Maître et nous rappelle que KHATIBI, comme tous les grands écrivains de notre époque, était a la fois un dérangeur, un intellectuel hors-pair, doué d’une force tranquille mais également l’homme des audaces meurtries
Le colloque de KENITRA a été pensé et programmé pour traiter différents volets de la personnalité du célèbre homme de lettres. Le présent article tourne autour de trois axes, dont la pensée de KHATIBI a travers chercheurs et enseignants, les écrivains et amis du défunt ainsi que KHATIBI et la Politique.
La pensée de KHATIBI entre chercheurs et enseignants :
La première matinée du 16 mars a permis de donner la parole aux enseignants et chercheurs dont certains sont des disciples ou d’anciens étudiants qui ont su tirer le meilleur de l’immense héritage du « socle khatibien ». Les thèmes exposés sont les sujets favoris du maitre a travers lesquels KHATIBI a pu bâtir toute son œuvre, en l’occurrence les concepts du corps, de la langue, de l’identité, de la blessure et du rapport de l’intellectuel au pouvoir et/ou a son environnement sociétal et naturel.
Dans son exposé intitulé « l’homme dépaysé, essai sur le portrait photographique de KHATIBI » Mr Abdelghani FENNANE en tant que spécialiste de la question de la photographie, essaie de brosser un portrait fidèle au retour du mort, étant entendu que le féru des mondanités qu était KHATIBI, tentait de réussir par l’écriture son propre portrait et son manuscrit « Le scribe et son ombre » témoigne de son regard désaxé. A ce titre, le point de vue de FENNANE est un des meilleurs témoignages qui a essayé de remettre KHATIBI dans son propre cadre pluridisciplinaire et ce, en consacrant une partie de sa thèse doctorale au portrait photographique de KHATIBI.
EL HACHLAF MOSTAFA enseignant chercheur de LERIC (Laboratoire d’Etudes et de Recherches en Interculturel, dirigé par Mr MABROUR ABDEWAHED) a l’université d’El Jadida, est intervenu sur le thème « Entre l’amour et la vérité : KHATIBI mystique ou soufi ? », en traitant l’anthologie de la blessure dans la pensée philosophique de KHATIBI, parallèlement a celle de Jacques DERRIDA. Entre les deux penseurs s’est établie une correspondance qui a duré quelques 30 ans, correspondance qui a donné un nouveau visage au concept de la déconstruction comme « décolonisation de la langue ».
Dans son intervention de fin de matinée Mr EL KHALIFI Abdelilah de l’Université de TETOUAN nous parle d’une passion qui inonde le corps de plus en plus nombreux des chercheurs de la pensée Khatibienne. Il nous conseille de relire KHATIBI, le revisiter et pourquoi pas utiliser le « Je » dans cette nouvelle quête du savoir
Mr Mohamed BERNOUSSI du groupe SEMIOTICA effectue un retour remarqué sur la pensée de KHATIBI, particulièrement autour de son ouvrage « La blessure du nom propre », et tente de structurer le système sémiotique de la culture marocaine, surtout a travers le tatouage.
Mme RACHIDA SAIGH BOUSTA s’est adressée dans son témoignage a KHATIBI l’immortel, a celui qui écoute plutôt que n’écrit ou ne parle, nous demande de le voir de nouveau, le revisiter comme un lieu de méditation.
La première matinée fut riche en enseignements mettant en exergue les contours de la pensée de KHATIBI a travers les divers points de vue des enseignants et chercheurs dont la plupart vouent a l’auteur de « la mémoire tatouée » une passion inébranlable.
2°) Ecrivains et amis de KHATIBI :
Ensuite vint le tour des écrivains, compagnons de route ou complices privilégiés, ils ont partagé avec le Maitre durant des décennies, l’intimité de l’écriture, la noblesse de la création et la richesse du retranchement. On a choisi parmi ses amis, les plus fideles, les plus proches, peut être même les plus humbles. Avec ces invités de marque il était question de poésie, de roman, de peinture, de nouvelle et d’histoire de l’art. On les a nommés : l’artiste peintre et poète AISSA IKKEN, le poète romancier et nouvelliste Mohamed LOAKIRA, la romancière et spécialiste d’Histoire de l’art SOUAD BAHECHAR, l’écrivain MOURAD KHIREDDINE ainsi que l’essayiste nouvelliste et romancier ABDELFATTAH KILITO.
Le premier témoignage des écrivains vint de MOURAD KHIREDDINE qui nous rappela que si KHATIBI est parti, il nous reste le chantier de son œuvre. Il pense que la meilleure façon de rendre hommage a ses ainés, c’est suivre leur modèle
Souad BAHECHAR a quant a elle parlé de son amitié avec KHATIBI comme une amitié naturelle. Sa formation d’historienne de l’art lui a servi dans le partage de sa pluridisciplinarité d’avec l’érudition du Maitre.
AISSA IKKEN a qualifié KHATIBI de rayon de lumières aux multiples directions, et leur amitié gravitait autour de la peinture et de la poésie
Ensuite, a travers un texte magnifique paru dans le journal « l’opinion » du 19/03/2010, Mohamed LOAKIRA tente d’interpeller l’ami disparu et l’intellectuel encyclopédique : « remémorer les moments privilégiés a travers divers faits, gestes et balbutiements du rêve intense des textes a achever ou a écrire ». Dans ce voyage a rebours, ponctué de souvenirs de rencontres et de retrouvailles, Mohamed LOAKIRA accompagnera le défunt de son vivant, a travers une plainte vibrante d’émotion, dans sa dernière promenade, au seuil de la chambre 3113 de l’hôpital CHEIKH ZEYD a Rabat. Son dernier mot : « Le « a bientôt l’ami » fut le dernier. Il est douloureusement orphelin. »
Après, ABDELFETTAH KILITO s’empara du discours et de la salle, nous posant la question fatidique qui interpelle et surprend : KHATIBI s’était-il trompé de langue ? a-t-il raté la langue ? et laquelle ? s’était-il trompé de route ou a-t-il fait fausse route ? Toutes ces interrogations : perdre, être perdu, se tromper, être désorienté ou désaxé ? KILITO nous les pose et tente de répondre par un subterfuge de réponses-questions, pour enfin nous leurrer par cette surprenante boutade, propre aux compagnons de route et complices d’Abdelkebir KHATIBI : et si tout ça n’était qu une simple illusion ?
3°) KHATIBI et le monde Politique :
Mercredi matin, le colloque vira au sujet sensible du colloque. Les hommes politiques vont s’accaparer la parole, éclairer l’assistance sur l’autre face de KHATIBI, son rapport avec la Politique, puisqu en fait, le vrai débat consistera a inverser la question primordiale, a savoir : quel sera le comportement du Pouvoir vis-a-vis de l’intellectuel en général et avec Abdelkebir KHATIBI en particulier.
Le premier intervenant a été l’Istiqlalien Larbi MESSARI, l’un des hommes politiques les plus influents de notre génération. Il formula ses regrets face a la mort d’un des plus grands écrivains qu ait connu le Maroc, avant d’orienter son exposé sur le rôle joué par KHATIBI dans le rapprochement entre israéliens et palestiniens, car le mentor a réussi la ou beaucoup de diplomates et hommes politiques ont échoué, il est arrivé a briser le mur qui séparait les deux camps en écrivant « Le même livre » conjointement avec Jacques HASSOUNE, l’écrivain juif d’origine égyptienne. Ces deux penseurs vont montrer au monde entier qu un dialogue était possible entre israéliens et arabes a un moment de l’Histoire ou les négociations avaient atteint le point du non retour.
Le témoignage de TAIEB BENCHEIKH, ancien Ministre du plan et de la Santé est intéressant a plus d’un titre, il était un ami des études de KHATIBI durant les années 60, « Il était humble, modeste et décidé » nous dit-il a son sujet. Pour lui, KHATIBI avait mené une grande bataille a travers ses écrits dans le domaine de la philosophie, la sociologie. De même ses écrits sur l’alternance politique sont une référence par rapport aux expériences qu on connaît de nos jours.
Ensuite vint le tour d’ABDELHAY MOUADDEN professeur des sciences politiques et des relations internationales a la faculté de droit de Rabat, romancier et auteur de « Adieux a Tanger ». Dans son intervention MOUADDEN a notamment loué la conception Khatibienne de la Politique par l’exemple de l’échange instauré par KHATIBI avec l’américain SAMUEL WEBER, donnant libre cours a une nouvelle conception du dialogue avec la 1ère Puissance Mondiale ou comment « rencontrer l’autre dans l’œil du cyclone » selon une conception imagée sur le mentor.
Le souvenir de ce colloque restera vivace pour l’ensemble des participants, a l’image hautement symbolique du portrait de l’écrivain, qui trônait en arrière plan de la salle de conférences tout au long de ce grandiose événement. La voix du mentor, adjointe au regard, était également présente, grâce a l’effort inestimable de l’écrivain Abdelmajid BENJELLOUNE qui nous a fait écouter un entretien radiophonique de KHATIBI.
Tout ce qui nous reste, un regard étrange, une voix judicieuse, partie a jamais, mais surtout un legs, une œuvre laissée a l’Histoire et aux Hommes qui feront le monde de demain.
* MUSTAPHA BENCHEIKH « l’université marocaine a l’épreuve » éditions OKAD.
**ASSIA BELHABIB «La langue de l’hôte» Lecture d’Abdelkebir KHATIBI éditions OKAD 2009.
Tarik Boubiya
Ahdate Doukkalia