En proposant pour ce colloque la thématique de la ville et de l’urbain, notre objectif était de donner une forme concrète a l’orientation, maintenant devenue inévitable, de l’inter et de la pluridisciplinarité dans les différents domaines de la connaissance. De ce point de vue, il nous a été possible de découvrir que tous les chemins de la recherche pouvaient mener a la ville.
Il n’est pas aisé de faire la synthèse des travaux de cette rencontre tant sont riches, brillants, pertinents, profonds, mais surtout variés, les exposés que nous avons écoutés tout au long de ces deux journées au terme desquelles nous avons fini par découvrir qu il n’existe pas de « ville » au singulier, et qu il serait décidément insensé de croire qu il suffirait de prononcer ce mot « ville » pour que, tout d’un coup, dans les esprits des uns et des autres, s’allume la même idée ou que jaillissent les mêmes images, qu il serait téméraire de soutenir qu une discipline plutôt qu une autre pourrait s’arroger impunément le droit de la définir ou de la représenter. La ville, au sens générique du terme, ne se reconnaîtrait que dans ces « regards croisés » qui sous-titrent le thème du colloque.
Ainsi, dans la littérature, la ville a été lue sous le faisceau de l’imaginaire, des configurations symboliques, ou encore celui des métaphores dont certaines étaient obsédantes. Elle a été identifiée dans ses rapports avec les lieux de la fiction, tantôt personnage, tantôt topographie ou mythe, ou encore écriture qui s’alimente de déplacements oniriques, de dévoilements de désirs, traces de l’intime, mémoire ou objet discursif a lire ou a écrire, sens et signifiance, réceptacle des souvenirs, creuset des stéréotypes
c’est que la ville, quand on décide un jour de ne plus seulement y vivre, mais aussi d’en interroger les figures, apparaît comme un ensemble de signes a déchiffrer, de construits sémiologiques a modéliser, a classifier. Les sémiologues parmi nous l’ont déclinée en programme a analyser en icônes et indices (nous avons sous-titré aussi « nouvelles visions »).
Et quand on prend le soin de l’écouter, c’est une langue incessamment renouvelée. Et nos (socio)linguistes et sociologues nous ont appris a nous rendre compte des systèmes et codes qui la structurent, des langues qui s’y pratiquent, des aires où s’entendent des voix qui disent le politique, le social, l’humain, les appartenances, les identités, les conflits, les alliances, les aspirations, les mutations
D autres chercheurs en ont interrogé la morphologie profonde. Et alors, la ville, toujours a connaître, cette sorte de géographie cordiale, semblait se chercher une cohérence urbanistique ou architecturale, s’inventer des solutions a ses difficultés d’esthétique, de gestion du territoire et des circuits.
Nous avions aussi a écouter la ville raconter l’Histoire. Cela a été l’occasion de mieux saisir sa propension a s’ériger en acteur et témoin de faits et d’actions, en rôles a jouer dans les événements, en mémoire a transmettre aux générations futures. Les historiens nous ont rappelé que les lieux, certains lieux privilégiés, une telle ville, une telle parcelle de la ville, vivent d’une vie seconde, liés a jamais a une révolution, a un soulèvement, a la signature d’un traité, a une catastrophe, a un artiste, a un écrivain, a une personnalité
Mais en fait, la ville est-elle autre chose que l’image en nous de son étendue dans un espace reconstruit selon nos expériences individuelles ou collectives ?
Chacun crée sa ville qu il porte au fond de lui : souvenirs d’enfance, expérience affective ou professionnelle, aventure, visite fortuite, lieu de vacances, ou de passage, lectures
Ville-femme, ville-poème, ville-roman, ou ville-livre. Ville a conquérir. Ville rebelle, fermée, ouverte, accueillante, hostile. Quartiers dangereux, lieux interdits ou louches. Villes avec des zones où la langue change, capitales, métropoles, mégalopoles. Villes-dortoirs. Villes de passage. Villes frontalières. Villes disparues villes a construire
Mohammed Benjelloun
Laboratoire dEtudes et de Recherches sur lInterculturel (LERIC-URAC57)