Mon père possédait une belle génisse de race locale, de couleur marron clair et a la peau douce et très lisse. Il la bichonnait et prenait grand soin d’elle. c’était un animal agréable a regarder, bien pleine et en bonne santé. Chaque matin, mon père la faisait sortir de l’étable et l’emmenait dans ses champs, dans la banlieue d’El Jadida, pour la laisser brouter l’herbe encore humide par les petites perles de rosée bien fraîches. La génisse avalait une grande quantité de ses belles plantes juteuses. Quand le soleil devenait trop ardent, la génisse regagnait l’étable en attendant le lendemain. Dans l’après-midi, elle se nourrissait de rations de foin, d’un mélange de son et de grains de maïs.
Quotidiennement, mon père procédait selon le même rituel. Pour lui, sa génisse représentait une fortune surtout qu elle devait mettre bas dans les jours prochains.
Mais, un malheur survint.
Un matin, la génisse broutait l’herbe dans son endroit habituel. Mon père était allé vaquer a d’autres occupations dans notre maison toute proche et me confia la garde de la bête. En ce premier jour de vacances de printemps, tout était calme et rien d’anormal n’attira mon attention. Loin de moi, je n’ai vu personne sauf Reddad qui était sur le chemin menant au douar Haj Abbés.
Je restais dans les parages et, a ma grande surprise, je vis que quelque chose n’allait pas. La génisse semblait mal a l’aise. Puis elle tomba. Ses pattes gesticulaient. Elle semblait éprouver des difficultés a respirer. Ne sachant pas quoi faire j ai couru avertir mon père qui semblait s’attendre a quelque chose. Dès qu il m a vu, mon père me demanda avant même que je parle :
-Qu est-il arrivé a la génisse ?
Je lui racontai ce qui venait d’arriver et nous sommes allés voir la pauvre bête. Mon père alors m a dit :
J étais s»r que la génisse courait un danger dès que j ai vu que Reddad la regardait avec insistance. Je le savais bien.
Arrivés sur les lieux, nous avons vu que notre génisse était toujours mal en point et que Reddad avait disparu. Un voisin accourut, puis un deuxième. Les hommes se concertèrent et conseillèrent de sacrifier la génisse avant qu elle ne décède.
Ainsi la pauvre génisse fut immolée et découpée en morceaux. Une grande bâche fut déposée pour recevoir les petites parts destinées a chaque habitant du douar en contrepartie d’une contribution en espèces.
Le soir, mon père nous expliqua a ma mère et moi que c’était bien le mauvais œil qui avait tué sa génisse. Il en était certain auparavant mais, maintenant qu il en avait fait les frais, il en était convaincu. Dès qu il avait vu Reddad s’arrêter pour épier sa génisse avec un regard malveillant, il ne présageait rien de bon. Reddad avait l’œil gauche qui se fermait au contact des rayons du soleil ce qui lui donnait une mine un peu patibulaire qui déplaisait fort a mon père.
Le mauvais œil ne touchait pas seulement les humains mais aussi les pauvres animaux : la génisse de mon père foudroyée en un clin d’œil en était la preuve évidente et indiscutable.
Mustapha Jmahri
ElJadida.com