Cet article a été publié le 10 Janvier 2006, aux tous débuts de notre site Eljadida.ma, on le réédite ici suite a la demande de quelques amis, nostalgique des débuts de notre portail, son auteur nous manque trop, SSI Abdelaziz Cherif, un homme qui, au démarrage, a su nous motiver d’améliorer un site qui était encore petite graine.
Rusibis, Mazagan, Mahdouma, Mellah, Deauville, El Jadida Voici une ville aux noms changeants a l’apparence d’une belle bourgeoise rompue aux épousailles incessantes. Sa dernière noce fut célébrée depuis peu en Chine sous les faveurs de messire Unesco. Exposée depuis vingt cinq siècles a la frénésie de ses prétendants, notre belle cité est blasée au point de se poser cette question saugrenue : A force de se remarier, aurait-elle épuisé tous ses deniers en dot ? Aujourd hui, elle a du mal a fixer ses courtisans furtifs dont la seule attraction se borne a la Citerne Portugaise ! Pourtant les guides électroniques ne tarissent pas d’éloges pour notre commune ; elle est dépeinte sous l’aspect d’une station balnéaire équipée d’un golf, de champs équestres, d’hôtels et de plages attenantes répondant aux gouts de tout vacancier. Quant aux voies d’accès, on n’a que l’embarras du choix : l’autoroute Casa -El Jadida est presque achevée, ceux qui ont le pied marin disposent d’un port de plaisance pour y accoster, la voie des airs est accessible par un petit aérodrome ; ce n’est pas le Bourget mais on peut vivre avec ; sinon pour les adeptes du Rail, des navettes quotidiennes peuvent les récupérer a Casablanca.
Au passage, n’oublions surtout pas l’autocar, moyen de transport par excellence pour le Globe trotter, puisqu il y trouve tout son dépaysement. Bien que depuis belle lurette on ne voyage plus avec chèvre et volaille, comme certains cinéastes se l’imaginent, les lignes sauvegardent indéniablement leur couleur locale; l’atmosphère est conviviale, les contacts sont spontanés, des vendeurs ambulants viennent proposer des collations ou des remèdes miraculeux a chaque arrêt du car, certains pros de la mendicité n’y trouvent aucune peine a soudoyer les coeurs sensibles. En somme, tout ce défilé engendre une animation bien orchestrée par l’assistant du chauffeur, appelé communément Graisseur, l’homme de toutes les tâches a bord; il est vendeur des places disponibles, souffre-douleur a l’occasion, menteur au besoin a propos de l’heure d’arrivée, mais demeure toutefois bienveillant comme un vrais stewart.
Excepté la saison d’été, les vacanciers semblent bouder notre ville en dépit de toute l’infrastructure précitée. Les touristes étrangers s’y arrêtent a peine, comme a la traversée d’une bourgade. Cependant, l’Histoire signale une grande convoitise des étrangers pour notre région. Vingt cinq siècles auparavant, les phéniciens donnèrent l’occasion a notre contrée d’épouser son premier flirt sous le nom de Rusibis en y construisant un petit port d’attache. Beaucoup plus tard, la fougue étrangère frappa de nouveau ce bled, toujours a cause de sa position stratégique et ses richesses agricoles. Les ancêtres de Figo, célèbres a l’époque par leurs comptoirs commerciaux a travers le monde, y jetèrent leur dévolu en transformant ce petit port en une cité fortifiée connue a ce jour sous le nom de Cité Portugaise ou Mazagan. La communauté portugaise y tressa des liens commerciaux avec les habitants de la région ; on rapporte même que certains Doukkalis s’expatrièrent a Lisbonne.
Après deux siècles d’occupation, la communauté portugaise hissa ses voiles pour l’Amazonie (Brésil) en prenant soin de rendre les clés sous des ruines. Désormais, Mazagan s’attira l’appellation Mahdouma (cité en ruine). Au terme de soixante années d’indifférence, le sultan Moulay Abderrahmane lui redora le blason par une restauration digne de son nouveau nom El Jadida (la Nouvelle). Une importante communauté juive y créa un quartier appelé Mellah avant d’immigrer vers d’autres cieux. Pendant ce temps la, les courtisans ne manquaient pas ; un Nancéien né Hubert Lyautey succomba aussi au charme de cette ville en l’appelant la Deauville du Maroc, par allusion a la Deauville de France, première station balnéaire a l’époque. Durant la présence Française au Maroc, de nombreux Français y construisirent leurs résidences principales ou secondaires par attachement au climat et aux plages exceptionnelles de la région des Doukkalas.
Aujourd hui, des tas de résidences anciennes, témoins historiques d’une ville envo»tante, disparaissent graduellement sous le choc des pelleteuses actionnées par un urbanisme peu sensible a leur réhabilitation. Coté humain, différentes races étrangères s’y sont relayées sans se fixer pour autant ; quoique des institutions étrangères ne se lassent pas de perpétuer localement leur rayonnement linguistique. De nos jours, quiconque devinerait l’ampleur de cette perte, vu que le brassage culturel est facteur capital dans l’avancement d’une nation. A l’aurore de ce Millénaire, le tourisme est devenu l’ambassadeur du monde des Affaires. Sans faire trop de pub pour nos voisins Ibériques, de nombreux estivants, venus pour une simple virée chez eux, sont revenus pour y résider tout en adhérant a l’économie locale pour ne pas dire nationale. Pourquoi donc cette réussite chez nos voisins du Nord ? Cette question me fait penser a ce reportage télévisé qui relatait une véritable histoire d’amitié entre un vieil Pékinois et son oiseau de compagnie. Le décor de ce reportage est le parc municipal de la ville où notre homme ne paraissait pas le seul adepte d’ornithologie ; d’autres retraités fans de leurs volatiles y viennent ensemble pour se dégourdir jambes et ailes.
Quittons pour un moment nos vieux chinois pour envisager un scénario similaire au Maroc. La scène démarre par un garnement qui rôde autour d’une cage pouilleuse de 20×10 cm où végète un chardonneret bien soumis au régime Fitness. Accroché par l’idée de déplumer sa proie, l’enfant de cœur finit par ouvrir maladroitement la cage en exauçant le vœu inespéré du volatile, celui de quitter a jamais les lieux pour des cieux plus cléments. Pour les écologistes, la réaction de cet oiseau est bien naturelle ; néanmoins avant d’aller vite en besogne, revenons au pays de l’oncle Dragon pour vérifier cette thèse de plus près. Après les salamalecs d’usages avec ses camarades du parc, notre adepte ouvrit sa cage pour inviter son compagnon a se dégourdir les ailes auprès des copines du parc. Au final de sa randonnée, l’oiseau reprit possession de ses lieux, tout ravi de retrouver sa mangeoire garnie et son nid douillet. Cette véritable tradition asiatique donne beaucoup a méditer sur les rapports de confiance entres individus et la façon de rester fidèle a ses racines, quelque soit l’opportunité d’immigrer.
A propos de retraité, mes conversations avec mon oncle aîné sont souvent marquées par ses souvenirs d’El Jadida. En 1944, faute de se présenter a l’examen de fin d’études primaires a Casablanca, il se rattrapa en suivant la commission des examens a El Jadida. Quelques années après, il en a fait l’une de ses stations préférées ; ses enfants qui sont férus du Surf Casting, reviennent aux environs pour pêcher la Daurade Royale. A chaque visite a l’oncle, je tente de le rassurer en lui parlant de l’embellissement des vieux parcs et des changements en cours pour réhabiliter la ville ; mais c’est dur de convaincre un nostalgique. Dans le monde, de nombreuses villes moyenâgeuses se sont développées autour des citadelles qui sont présentées au touriste comme le clou de la visite. A El Jadida, hormis la Citerne Portugaise, les entrailles de la forteresse attendent toujours leur restauration. A l’intérieur comme a l’extérieur de la cité, je pense que la réhabilitation de notre ville passe par la collaboration de chaque habitant dans le but de relever les challenges futurs.
Le mot de la fin, tombeuse a jamais, notre ville voit un courtisan cossu se pointer aux horizons. Il s’agit la d’un Sud africain considéré parmi les mastodontes du Tourisme. Cette fois-ci, il n’est plus question de violon, mais travailler serré car les concurrentes sont de plus en plus attrayantes. Merci.
Abdelaziz Cherif
Eljadida.com