Débris d’une mémoire collective: les habitants de la cité portugaise racontent

Il y a des fois, dans le cheminement personnel de certaines personnes, des faits, ou des événements qui vous élisent, vous accaparent et vous saisissent, tel l’aigle royal happant sa proie dans le ciel de l’existence.

Au départ, une invitation de la main du poète et anthropologue REDOUAN KHEDID, imprévue, peut être même inconsistante, inespérée a certains égards, et c’est l’Histoire qui en a décidé autrement, une sorte de dessein incontournable.

J arrive dans la cité portugaise par la porte d’entrée officielle, fouler de mes pas incertains, la ruelle centrale, entrer dans les secrets de la vie d’autrefois, quand les « BARTKIZES » étaient les maitres des lieux, les faiseurs de l’Histoire et de l’espace, durant deux siècles et demi (1502-1769). Dans mon attitude de vieil intello BC BG, a la recherche d’une adresse, un jeune de la cité qui semblait me connaitre, un plateau de pain rond a la main (OUASSLA DIAL LKHOUBZE), me dit :
– Tu cherches DAR MOULAY SALH, longes la rue principale jusqu a la muraille du fond et tournes a gauche, c’est la que la soirée aura lieu
– Choukrane, merci ! lui dis-je, et saches cher lecteur que dans mon pays : rien ne se crée rien ne se perd tout se sait !!!

Revenons-en a l’invitation, elle est écrite en arabe, émanant de l’association des « Amis de la Bibliothèque IDRISS TACHFINI » (située au Parc SPINI), et l’association des amis de la cité Portugaise, une halte soudaine dans l’Histoire, fait pour raconter pendant cette veillée culturelle, la mémoire et le vécu séculaire des habitants de la citée portugaise.

Sur la photo du prospectus, une image légendaire, représentative de la période qu on racontera au cours de la soirée : une tente caîdale en arrière plan, a travers laquelle nous surprenons quatre hommes, barbus, habits traditionnels, des dignitaires marocains du début du XXème siècle, peut être parmi eux, se trouve le grand « ALEM » du pays des DOUKKALAS, ABOU CHOUAIB ADDOUKKALI, un personnage phare de MAZAGAN, qui fut a l’apogée de son existence, ministre de la Justice et Président de la cour d’Appel de Rabat, du temps du règne de Moulay YOUSSEF EL ALAOUI.

Dans ce témoignage, on interpelle l’anthropologue, l’ethnologue ou l’ethnographe, ces trois la sont pareils, et s’empressent d’ouvrir leurs yeux, aiguiser leur regard, filmer et écouter, faire parler certains témoins de la communauté, de l’intérieur de la maison, question d’en extraire les souvenirs d’une vie communautaire, débris d’une mémoire collective.

L’idée est intelligente, opportune, louable a plus d’un titre. Le temps presse, certains acteurs du siècle dernier, nous ont hélas quitté pour l’éternité, d’autres vont partir, emporteront avec eux les traces de leurs combats, les remparts de leurs souffrances sur lesquelles a été construit, le Maroc de nos jours.

J arrive dans le salon de DAR MOULAY SALH, le gentil Si Brahim EL KALII me cède sa place, me suis retrouvé au milieu d’une poignée d’amis, « OULED EL MELLAH », des vieux et des plus jeunes, tous animés d’une même ferveur, d’une même passion pour leur quartier, leur espace convivial, qui les a vu naitre et grandir, et que certains ont quitté, la mort dans l’âme, le souvenir en berne

Tout l’attirail du reportage est la, deux grands pères de la cité s’apprêtent a confesser a l’assistance, leurs versions du passé de la cité. La camera tourne, le micro est a l’écoute, Mr Abdallah CHOUKLATE, doyen de cette soirée pas comme les autres, se présente a l’assistance, en costume cravate s’il vous plait, il raconte :
– Je suis né en 1926 et vécu toute ma vie dans ce quartier. Je me suis marié dans la cité et j ai deux fils, l’un est médecin chirurgien marié a une russe et l’autre vit en Italie (preuve en est que certains des fils de la cité ont bravé les us et lois de la cité et réussi dans l’école de la vie)
– Je me souviens de l’année du typhus* dit-il, l’épidémie a tué beaucoup de monde et malgré toutes les souffrances, les habitants de la cité sont restés solidaires. On était tous des frères, juifs, français, russes, espagnols et arabes. Et chaque dimanche on entendait la cloche de l’église sonner. De même pendant les fêtes juives tout le monde avait un certain respect, une même tolerance

Ensuite vint le tour d’un autre témoignage :
-Je m appelle EL MENEBEHY MHAMMED EL ABBADI et mes ancêtres sont « ABBADIYNE ». Je vous remercie pour votre initiative, particulièrement le président Mr BRAHIM EL KALII ainsi que les autres membres de l’association. Mes souvenirs remontent a la période de la famine, avec ma sœur on partait, munis d’un « bon » pour chercher la nourriture. Ma mère est décédée pendant cette période, un moment douloureux dans la vie du Mellah. Quand le typhus a frappé la cité, a « l’école musulmane d’apprentissage » Mme JUFFET qui était notre institutrice avait instauré un système très spécial, elle nous disait :
– Celui qui ramène un pou aura un bon point. Plus tard, quand mon oncle m avait surpris entrain de fouiller dans les cheveux de ma sœur, il m a chargé de dire a la maitresse que dans notre maison il n’y a pas de poux et c’est comme ça que toutes les maisons avaient été traitées au souffre sauf la nôtre. A cette époque les français avaient construit le dispensaire de SIDI YAHYA pour soigner la population, on traitait également sur place les familles ainsi que les meubles qu on sortait et aspergeait avec de la fumée.

Puis, d’autres témoignages se succédèrent, décrire les joies et les péripéties de la vie dans la cité, a l’école coranique, raconter le « MSID » (école coranique) ou l’apprentissage par cœur des versets du Saint coran par les petits musulmans de la cité. Les hommes du mellah ont témoigné d’une voix mélancolique a qui veut les entendre, des événements de l’enfance, du « MSID », « FQIH », « LOUHA » de « LARABIIYA » et des phases périlleuses de l’apprentissage de l’école coranique. Ils ont parlé de la circoncision et son cortège de souvenirs, de la destinée des enfants qu ils ont été, ligotés et superbement parés qu ils étaient, entre les mains de OULD SI SLIMANE ou OULD SI TIBARI ou encore OULD BENHLIMA, quand le coiffeur leur montrait le petit oiseau et le plafond, dans le feu de la douleur de quitter le monde de l’enfance et pénétrer le monde des hommes.

Ce soir, j ai vécu en direct, le film inédit du mellah du siècle dernier, et j ai vu des enfants de soixante ans, raconter l’âme en larmes, la vie de leur quartier, l’instant d’une nuit printanière, a l’ombre de lointains souvenirs, beaux et forts.

Tarik BOUBIYA
Eljadida.com

Auteur/autrice