L Homme qui a été l’invité du café littéraire en ce mois, est un auteur- éditeur âgé aujourd hui de 64 ans. Il avait intégré Ila Al Amam dans les années 70 et avait fait la prison de Kenitra dans la même période pour délit d’opinion. Son parcours reste atypique selon ses proches, car cet ex berger de mère espagnole a, au cours d’une période carcérale de 13 ans, rédigé une thèse de doctorat (L univers carcéral pendant le franquisme) et a écrit l’un des premiers romans sur les années de plomb alors qu il était toujours emprisonné! Ce livre était aussi bien une sorte de témoignage, qu un ouvrage sociologique ou une introspection.
« Nous tenions nos A. G., sauf les jours de pluie, tout près de Lalla Chafia ce qui, traduit dans la culture européo-chrétienne, donnerait quelque chose comme Notre-Dame-Guérisseuse. Il s’agit d’une grosse colonne en forme de parallélépipède dépassant a peine un mètre de haut, surplombée par une sorte de chapiteau. Elle se trouve a peu près au milieu de la cour A1. Près d’elle, il y avait un bel abricotier, un pêcher et un jeune avocatier que nous avons arrachés puis remplacés par un jardin et d’autres arbres en 1983. Deux fois par semaine, puis progressivement, une fois par semaine, nous nous asseyions la, en rond, et discutions de nos affaires. Les optimistes, avant le commencement des débats, plaçaient les cinq doigts unis de la main droite sur le chapiteau, les embrassaient et priaient :
– Notre bonne Lalla Chafia, que Dieu bénisse tes parents, toi qui connais le calme et la sérénité, fais que cette A. G. soit calme et sereine et que les camarades ne s’emportent pas. Amen.
Mais Lalla Chafia, elle-même calme et sereine, devait aimer assister aux joutes oratoires enflammées. Elle ne levait pas le petit doigt pour éviter la fougue, la haine, la violence orale, les divergences de nos interventions. »
Extrait d’A l’ombre de Lalla Chafia.
Lalla Chafia serait une sainte des environs de Moulay Yacoub a qui les gens venaient demander des faveurs. Mais pour les prisonniers ce fut une stèle construite dans la cour de la prison par la direction, après une visite de Feu Mohammed V.
L’auteur a évoqué ses idéaux d’avant-prison. Mais une fois a l’intérieur, il a été témoin d’un grand contraste : Les détenus du droit commun d’hier, maltraitaient, brutalisaient, empêchaient de s’exprimer leurs camarades au point qu il en était écœuré.
Ceux qui faisaient de la prison pour avoir défendu la démocratie, la liberté d’expression, une plus grande justice n’étaient pas mieux, que ceux qu ils combattaient naguère : « je n’avais plus la même perception de la société, des classes. J étais marxiste-léniniste a mon entrée en prison. Or, il y avait beaucoup de sectarisme dans notre vision des choses. Celui qui pensait différemment de nous était au minimum un adversaire, au pire un ennemi.
J ai pris du recul par rapport a ces déviations et aux directives de l’organisation le jour où, encore en prison, j ai pris conscience que je participais a l’isolement de ceux qui pensaient différemment de nous. Je me disais: Comment puis-je mépriser mes propres camarades ?
En remettant en question mes comportements sectaires, je suis devenu plus, souple et plus démocrate.
En parallèle, le dogme marxiste était de plus en plus battu en brèche a l’échelle mondiale.
Sans devenir anti-marxiste, car j estime que chacun a droit a la parole, j ai compris que j avais un problème avec les méthodes employées. »
A l’actif de l’auteur : La tyrannie ordinaire, ou Il propose un choix de lettres échangées pendant ses treize années de détention avec sa famille, ses amis et avec les défenseurs des droits de l’homme. On y découvre la vie quotidienne, les solidarités mais aussi les conflits liés a la situation politique.
Le fils du Souk : Il s’agit d’un certain Mohammed, né le jour de l’indépendance du Maroc. Il est de père inconnu et n’en finit pas d’encaisser les coups entre la violence du maitre d’école Si El Hadi, celle de la rue ainsi que celle des petits et grands trafics.
Rekab est une sorte d’allégorie pour tous ceux qui ont vécu ce grand rêve dégrisé de toute une génération et grâce aux luttes de laquelle, on doit une grande part des acquis actuels.
A.HANBALI