Le présent entretien avec le directeur du Laboratoire d’études et de Recherches sur l’Interculturel ( LERIC) M. Abdelouahad Mabrour, a pour objectif ; faire connaitre aux chercheurs marocains les fruits de dix ans de travail acharné. Le Laboratoire en question a été accrédité par le Conseil d’Université en 2005, donc dans quelques mois, cet organisme éteindra sa dixième bougie.
Mabrour : le LERIC a développé un réseau de partenaires en Europe.
1) Veuillez Monsieur nous donner un bref aperçu historique sur le LERIC, ainsi que sur les conditions de sa création.
Je souhaiterais tout d’abord vous remercier de nous avoir donné la possibilité de présenter le laboratoire et de parler des activités qu il organise, seul ou en collaboration avec ses partenaires.
Comme vous venez de le rappeler, le Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur l’Interculturel (LERIC. URAC 57) a été accrédité par le Conseil de l’Université Chouaïb Doukkali en 2005 dans le cadre de la restructuration de la recherche scientifique lancée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique. A cette date, la Faculté des Lettres et des sciences Humaines de l’Université Chouaïb Doukkali comptait deux Laboratoires et 9 équipes de recherche.
Il est a signaler toutefois que notre structure existait bien avant cette date. l’une des unités le composant a vu le jour en 1997 dans le cadre de la Coopération Maroco-Belge : Groupe de Recherche sur l’Interculturel. Il comptait parmi ses membres des chercheurs de l’Université Chouaïb Doukkali et de l’Université de Liège (Faculté de Philosophie et Lettres). Cette coopération institutionnelle a duré de 1997 jusqu a 2005 (périodes triennales 1997-1999 ; 2000-2002 ; 2003-2005) et a donné lieu a plusieurs actions de formation, de recherche et de formation a/par la recherche : échange de professeurs, stage d’étudiants, cours dans les deux universités, quatre colloques internationaux, plusieurs publications,
2) Pouvez-vous nous expliquer la place de la culture ou des cultures au sein des recherches sur l’interculturel?
Les rapports entre langues et cultures font aujourd hui, d’une manière générale, l’objet d’enjeux qui dépassent largement la simple étude linguistique ou littéraire, et l’enseignement est sans aucun doute le levier essentiel sur lequel on peut fonder un rapport entre cultures qui ne relèvent pas du fameux « choc des civilisations » aujourd hui mis en avant par certains idéologues.
Les productions linguistiques, littéraires et artistiques, faut-il le rappeler, sont toujours porteuses d’une charge culturelle. Il serait donc intéressant d’une part de les identifier en tant que telles et d’autre part d’explorer la part de l’interculturel qu elles comportent, étant donné que nous vivons une ère où l’on recherche de plus en plus a instaurer un dialogue via les différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Les modes d’expression artistiques et littéraires s’offrent comme passerelles entre les cultures, illustrant par la la possibilité de ce dialogue interculturel qui tendrait vers l’universel. Il faudrait donc aussi s’interroger sur les enjeux et les conséquences de la résorption de l’identité culturelle tant revendiquée par certaines communautés.
3) Quels sont les thèmes de recherche qui sont en étroite relation avec l’interculturel ?
La langue, la littérature et l’art, en tant que thématiques de recherche privilégiées par notre laboratoire, ont été souvent, et depuis tous les temps, un réceptacle de représentations culturelles et/ou interculturelles, mais ils n’ont commencé que depuis peu a être l’objet d’études interculturelles. Il faut noter, cependant, que l’interculturalité en tant qu approche a d’abord été conçue et mise en place comme stratégie servant a mieux gérer des mouvements multiculturalistes au sein du monde occidental. Ce fut en premier lieu une solution aux problèmes sociaux et psychologiques engendrés par une cohabitation difficile de plusieurs communautés de cultures différentes concentrées dans une même aire géographique.
D une manière générale, et du moment que notre structure de recherche est fondamentalement pluridisciplinaire, nous nous intéressons aux axes de recherche suivants :
– Espaces plurilingues et représentations (interculturelles) : (contacts de langues et langues en contact, espace de l’autre/espace de soi, assimilation/intégration,).
– Didactique interculturelle.
– Fonction symbolique de la langue dans les représentations identitaires, la langue comme objet et sujet de construction des cultures.
– Littérature, stylistique, rhétorique.
– Transferts culturels et littéraires.
– Pratiques de la traduction.
– Traces de l’interculturel dans le patrimoine populaire.
– Cultures orales.
– Texte et contexte.
– l’image de soi et de l’autre dans les productions cinématographiques.
4) Est-ce que vous pouvez évaluer ces dix ans de recherche ?
Les activités de LERIC ne se limitent pas uniquement a la recherche. Elles touchent également a la formation a/par la recherche (Master « Etudes interculturelles » et Formation doctorale « Représentations (inter)culturelles : langue, littérature et art ») et aux activités culturelles (rencontres-débats, café littéraire, conférences, expositions, projections de films, )
En 2009, au terme de la première période d’accréditation, l’université Chouaîb Doukkali avait procédé a l’évaluation de ses structures de recherche par des experts externes. Le LERIC reçoit alors le prix de la meilleure structure dans le domaine des lettres et des sciences humaines. En 2010, il participe a un appel a projets lancé par le Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique (CNRST) et obtient le label d’Unité de Recherche Associé a cette institution (URAC). Pour mémoire, il n’y a que deux URACs au sein de l’Université Chouaïb Doukkali dont une a la faculté des sciences.
La Laboratoire a été réaccrédité en 2010 puis en 2014. l’évaluation institutionnelle a laquelle avait procédé l’université Choaïb Doukkali a la fin de la période 2010-2014 a permis au laboratoire LERIC d’obtenir un A++, ce qui est un gage de reconnaissance de la qualité des recherches et des formations qu il mène depuis sa création.
Au niveau de la coopération internationale, le LERIC a développé un réseau de partenaires en France (Lille, Angers, Mulhouse, Paris 3, Paris 2, Rennes, Nice, Grenoble, Lyon, ), en Belgique (Liège, Bruxelles, Louvain-la-Neuve, ), en Espagne (Madrid, Grenade), en Italie (Gênes), en Allemagne (Leipzig), au Canada (Vancouver, Québec), en Algérie (Annaba, Tlemcen, Mostaganem), en Tunisie (Tunis, Souss, Jendouba,..) et au Liban (Antonine, Hadath-Baabda, Balamand).
Le LERIC participe aussi a des projets financés a l’échelle nationale et internationale.
5) Certains théoriciens critiquent cette théorie de l’interculturel et doutent de son existence. Que pouvez-vous dire la-dessus ?
La recherche sur cette notion revêt un caractère a la fois fondamental et appliqué et fait appel a des méthodologies d’investigation variées (études de terrain, enquêtes par questionnaires ou entretiens, observations participantes, analyses documentaires et discours, etc.) Elle questionne des domaines multiples tels que la littérature, la (socio)linguistique, la pragmatique, le (socio)culturel, la sociologie, la psychologie, l’éducation. Autant d’éléments qui attestent de la fécondité de la notion d’interculturel, de sa maturité scientifique et de sa pertinence pour traiter le rapport dialectique entre langue et société, entre texte et contexte, entre communication et culture, pour identifier et décrire les stratégies discursives, explicites ou implicites, qui sont mises au service des différents types de discours que l’on peut observer.
6) Vu les conflits et les guerres que connait le monde actuellement, que pourrait être a votre avis l’apport de l’approche interculturelle ?
La « démarche interculturelle » était considérée comme une solution aux problèmes sociaux et psychologiques engendrés par une cohabitation difficile de plusieurs communautés de cultures différentes concentrées dans une même aire géographique. n’a-t-on pas toujours procédé d’une manière interculturelle en apprenant une nouvelle langue, en lisant un texte écrit dans une langue étrangère ou en examinant une production réalisée par un artiste appartenant a une autre communauté? On dit qu il ne suffit pas de connaître l’autre pour adopter une démarche interculturelle, il faut aller a sa rencontre. Mais il faut être vigilant, la modernisation nous envahit de tous les côtés et le risque de porter atteinte a notre identité culturelle est de plus en plus réel. Les frontières linguistiques et culturelles qui délimiteraient cette identité sont fluctuantes, perméables (phénomènes migratoires, révolution des transports, évolutions technologiques). l’identité doit être recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire. Elle doit leur procurer un sentiment de continuité qui contribuerait a promouvoir le respect de la diversité culturelle et de la créativité humaine.
Abdelhak Lachhab
Eljadida.com