Grande première dans les Doukkala, LE CLUB ALPIN FRANAIS a la découverte du pays aux 400 tazotas

Les moissons sont presque finies, de ce côté-ci des Doukkala. La récolte sera bonne, c’est s»r, car la pluie a été généreuse cette année. Les paysans arborent une mine satisfaite et déja ils pensent a la récolte du maïs, qui grandit a vue d’œil. Car ici, on vit surtout de céréales et d’élevage. Mais on y cultive aussi des pommes de terre, des fèves, des pois chiches, On voit, cascadant de vallon en vallon, les champs dorés parsemés de femmes qui glanent les tiges de blé laissées par la faucille ou la moissonneuse, et de troupeaux de moutons broutant ce qui en reste, entre les bottes de paille ou les meules de foin, qui, une fois bien séchées, bien ensoleillées, seront engrangées. Sauf qu ici, les granges ont une forme spéciale : De petites pyramides au toit arrondi, construites en pierre sèche. Une architecture d’une élégance rare. On les appelle : des Tazotas. Un nom berbère, assurément. Et l’on en voit partout, aussi loin que porte le regard. Car l’on est en plein cœur du pays tazota J en ai dénombré plus de 400, dans ce seul périmètre. Un recensement de ce patrimoine a-t-il déja été effectué ? Car ici, se cache un véritable trésor architectural, pratiquement méconnu du grand public, rarement visité. Et unique au Maroc.

Et c’est cette destination que le Club Alpin Français de Casablanca a choisi, ce dimanche, pour y effectuer une de ses sorties – découverte. Le plus souvent, le CAF organise des randonnées en pays montagneux ; ses adhérents ont également effectué récemment une visite dans les Doukkala autour de la casbah de Boulaouane. Mais aujourd hui, il s’agissait d’une excursion en plaine, a travers champs et douars: Une quinzaine de kilomètres a pied, en pleine natureet en plein soleil. Ce fut une grande première pour les paysans du coin et pour cette région-ci des Doukkala.

L’endroit n’est pas très éloigné d’El Jadida. A une vingtaine de kilomètres tout au plus, dans la commune d’Oulad Rahmoune. On aperçoit quelques unes de ces tazotas lorsque l’on emprunte la route de Settat, par Ouled Frej ; mais il faut pénétrer a l’intérieur des terres. Un éblouissement et un étonnement permanent : Ce territoire a la forme d’un hexagone, ou plutôt d’un triangle imparfait, avec pour point central, la zaouia d’Abdallah-At-Tibari qui abrite le mausolée du saint homme. La zaouia, juchée sur une colline d’où l’on a une superbe vue panoramique, est très connue ici, car s’y déroulent, surtout après le mouloud, des moussems très populaires. l’on vient de toutes parts faire ses vœux et ses offrandes autour du mausolée et des tombes voisines. Tout le monde se connaît ici ; c’est vrai que la superficie de la région est plutôt modeste : près de 44 kilomètres carrés, m ont dit les services du cadastre. Les noms des douars sont des bijoux phonétiques : douar Lahnanwa, douar Jwawla,la forêt d’Al Hauirades puits, beaucoup de puitsIl y a même les vestiges d’une gare, lorsqu un petit train reliait Mazagan a Marrakech ( c’était sous le Protectorat. J y reviendrai ultérieurement)

Cette région a donc suscité la curiosité d’Alain Deniel, membre du Caf, responsable, a la Société Spie, de tout ce qui concerne le génie climatique du Projet Mazagan, le complexe touristique géant entre El Jadida et Azemmour, et archéologue a ses heures perdues. Nous nous sommes rendus sur place, a Tibari, et peu lui a suffi pour qu il se convainc de l’utilité d’y organiser une randonnée avec les membres de son club. Nous avons donc ensemble sillonné le terrain a maintes reprises et par tous temps, pour mieux en baliser les étapes…et Dieu sait si nous avons pataugé, lors des pluies qui avaient transformé les chemins en de véritables bourbiers. Mais il fallait identifier un circuit a travers champs sans que les paysans aient a subir le moindre préjudice, tout en offrant la possibilité de voir le plus grand nombre de tazotas de style différent, un endroit loin de toute circulation automobile, et la, la région est idéale : pas de goudron a plusieurs kilomètres a la ronde et connaître une personne qui puisse guider la troupe de randonneurs, dans le dédale des nombreux chemins de terre: Mustapha Sijam accepta volontiers cette charge.

Mustapha est le secrétaire général de l’association El Hannaâ, qui regroupe les paysans d’une dizaine de douars de la région, avec comme projet majeur : prendre en main leur propre destinée Ce ne sont pas les projets qui leur manquentet notamment celui de tout faire pour que les tazotas puissent ne pas disparaître un jour sous le joug de la modernisation ; c’est vrai que quelques tazotas ont été démolies ces dernières années pour en faire des maisons d’habitation avec les pierres ainsi récupéréesEt des visites organisées comme celle-la, peuvent sans doute mieux attirer l’attention de leurs propriétaires et des Pouvoirs Publics afin que tout soit fait pour que ces œuvres d’art rural continuent d’honorer la mémoire des Doukkala.

Une cinquantaine de personnes étaient donc venues de Casablanca mais aussi d’ailleurs, enseignants, cadres ou chefs d’entreprise, marocains ou étrangers, et leurs enfants, tous ayant a cœur de mieux connaître ce Maroc rural qui, dans le silence de ses blés, recèlent des trésors qu un peu de patience et d’endurance permet de découvrir. Deux charrettes nous accompagnaient, pour les coups de fatigue ou pour les enfants au cas où la route serait trop longue( Je fus, pour la journée, un de ces enfants-la !) Et la route sera longue, une quinzaine de kilomètres a pied, ça use, ça use, ça use les souliers, chacun muni de son chapeau, son bâton, sa gourde d’eau, son sac a dos pour le casse-cro»teEn avant ! Marche ! Dans leurs champs, les paysans ont pour un temps cessé leur travail pour regarder la troupe passer.et des enfants du pays, surgissant de toutes parts, couraient pour se joindre au cortège de visiteurs. Du jamais vu, dans le coin. Et pour les randonneurs, du jamais vu non plus.

Dans le sud de la France, en Italie, en Grèce, aux Baléares, en Sicile, en Turquie, dans certaines zones d’Algérie ou de Tunisie, il existe des constructions en pierre sèche, qui ont de tous temps servi a abriter les hommes, les bêtes, les récoltes,Dans chaque pays, des styles particuliers. Et ici, des mastodontes de pierres qui semblent indestructibles, tant l’épaisseur des murs est grande et la construction élaborée. Quand ont-elles apparu ici ? Une question bien secondaire par rapport a la beauté de l’architecture. (1) Nous nous arrêtons, entre autre, devant celle qui passe pour être la plus haute, la plus colossale. Une bonne dizaine de mètres de hauteur, encastrée dans un ensemble de bâtiments en dur. Le vieux Faki, 70 ans, nous dit l’avoir vu construire quand il était petitDu temps de Moulay Hafid, dit-il. Non, de Mohammed V, affirme son voisin. Tout a côté, fermé par une porte en tôle ondulée, un « toufri » un abri-sous-roche, creusé dans le calcaire, a 5-6 mètres de profondeur. Et tout en bas, deux pièces de 4 mètres de côté chacune. l’une servait d’habitation, et l’autre d’étable. Les voisins nous affirment que les « toufris » existaient bien avant les tazotas. Jadis, la population locale vivait dans ces toufris, avec ses animaux. Puis, disent-ils, sont apparues les « noualas », des paillottes en roseaux au toit de chaume. Après seulement, apparurent les « tazotas » et les nouala-moudar (2).

En tous cas, de nombreux paysans qui ont toujours vécu ici, de génération en génération, nous ont donné cette version. d’ailleurs, affirme Messaoud, la plus ancienne tazota du coin, dont il est le fier propriétaire, daterait du Sultan Moulay Abdel Aziz.peut-être Hassan 1er ? Son grand-père le lui a dit. Et nous la visitons. Nous rencontrons Haj Tibari, qui, avec ses 85 ans, vit tout seul dans une seule pièce près de sa « tazota » qu il a lui-même construite, avec un maâlem, quand il avait 30 ans. « Avant, une tazota co»tait 2,5 Dh » Les temps ont bien changé !

Le vieux Haj Sijam nous explique comment on construisait les tazotas. Une technique apparemment simple, et qui, pourtant demandait expertise et expérience. Et force, surtout, car il fallait a dos d’homme mettre en place les pierres dont beaucoup pesaient plusieurs dizaines de kilos, et les empiler en peu en oblique au fur et a mesure que l’édifice s’élevait.
Peu de maâlems, ces maîtres d’œuvre, existent encore. Il est urgent de recueillir leurs témoignages. « Quand nous n’avions pas de tazotas a construire, dit Bouchaïb, nous allions a El Jadida construire des bechkiras », ces murets que l’on voit ici ou la sur le littoral aux alentours d’El Jadida et qui servaient de pièges a poisson, lorsque la mer se retirait.C était l’époque – pourtant pas si lointaine ! – où il y avait du poisson sur ces côtes doukkalies

Une pause a la fraicheur d’une forêt d’eucalyptus permit a la troupe de marcheurs de récupérer un peu, la pause casse-cro»teL après-midi s’enchaina par la visite d’autres tazotas, d’autres toufris, d’autres noualas-moudars , avec des explications, des anecdotes, des histoires anciennes aussi passionnantes qu intéressantes pour la mémoire du pays.

L’association Al Hannaâ s’active pour sensibiliser les habitants de la région a la nécessité de conserver ce patrimoine. Le président de cette association, Mustapha Matoubi avait convié cette équipée a la zaouia de Tibariil tenait a offrir a tous ces randonneurs le thé de l’amitié, agrémenté de quelques msemens, ces galettes feuilletées que tout le monde dégusta avec un réel plaisir. l’heure du retour s’annonçaitIl restait pourtant tant d’autres choses a voir. Mais certains envisagent de revenir bientôt pour mieux explorer la région, par groupe moins nombreux, d’autant que tout près, au carrefour de la route qui mène a Ouled Frej et de celle qui conduit a Azemmour, une tazota a été transformée en gîte rural, pouvant accueillir, dans un cadre agréable, plus d’une quarantaine de personnes. Et puis, de l’autre côté, dans la région de Sebt Douib, d’autres tazotas, aussi, dont l’ensemble fastueux de sept tazotas de la famille Moundib-Chiadmi.

Ce qui est s»r, c’est que cette région mérite d’être inscrite dans un schéma du développement touristique du Marocpeut-être même d’être classée zone de patrimoine architectural rural. Certaines de ces tazotas seront présentées au prochain Congrès International des constructions en pierre sèche, qui se tiendra en Angleterre. Un tel congrès se tient tous les deux ans. La réunion suivante se tiendra en Grèce ; mais pourquoi ne pas envisager la tenue du congrès de 2014, a El Jadida : l’occasion pour les plus grands spécialistes mondiaux de venir découvrir cette spécialité architecturale marocaine. Par ailleurs, tous les pays maghrébins ont des monuments en pierre sèche. n’est-il pas envisageable de créer, a El Jadida, le centre maghrébin de l’architecture vernaculaire ? Allons plus loin : l’Union pour la Méditerranée,( l’UPM ) le grand projet formulé par Nicolas Sarkozy, se met en place, avec pour partenaires les pays riverains de la Méditerranée, et le Maroc y jouera un rôle de premier plan puisque M. André Azoulay, Conseiller de SM le Roi, vient d’être nommé membre du Comité stratégique du Conseil culturel de cette Union qui a pour mission notamment, a souligné tout récemment M.Fillon, Premier ministre français, « la préservation du patrimoine et la revitalisation des savoir-faire artisanaux ».

Ne pourrait-on pas élaborer un projet que cette Union financerait, qui prévoirait un centre de formation spécialisé dans cette architecture avant qu elle ne disparaisse a jamais, une aide aux paysans locaux pour que leurs tazotas soient préservées, ou restauréesdes études historiques pour mieux connaître l’histoire de ces pyramides, avant que ceux qui en ont encore la mémoire ne disparaissent a leur tourPar ailleurs, pourquoi ne pas mettre en place des règles pour les préserver. Il est interdit d’abattre un arganier ou un palmier. Ne pourrait-on pas en faire de même pour les tazotas ? Des réflexions s’imposent, des décisions aussi, certainement !

Sans doute, cette région d’Abdallah At-Tibari veut ouvrir un nouveau chapitre de son histoire.

(1) : Voir mon article dans la revue JARDINS du MAROC, (N° 12, Printemps-Eté 2009, pp16)
(2) : Toutes contributions, reposant sur des données historiques, archéologiques ou scientifiques seront les bienvenues pour une meilleure connaissance des lieux et un approfondissement du sujet.

Michel Amengual
Eljadida.com

Auteur/autrice