La dernière salle de cinéma notoire d’El Jadida vend son âme au diable. Après avoir fermé ses portes définitivement en 2003, Paris Ciné sera bientôt rasé. Du jour au lendemain, sans prévenir, une bâtisse vitreuse viendra se substituer a la salle qui a, depuis les années 40, accueilli des centaines de cinéphiles tout âge confondu.
Passez les portes cadenassées, vous trouverez une salle vide et obscure. Le noir qui habite les locaux de cette salle n’a rien de fonctionnel. Il s’agit de l’obscurité qui sévit les endroits abandonnés. l’unique lueur est celle de la bougie que tient Bouchaib : 34 ans, au chômage depuis que le Paris a fermé ses portes.
« J ai commencé a fréquenter Paris Ciné depuis l’âge de 12 ans. A 16 ans j y travaillais comme aide régisseur. Tout ce que je sais du cinéma, c’est ici que je l’ai appris avec Essaissi, l’ex-régisseur. Aujourd hui, je suis très nostalgique » Confie ce dernier.
De Paris Ciné, il ne reste qu une carcasse vide : ni chaises, ni écran. « Les machines sont encore fonctionnelles, mais ne servent plus a rien. De toutes les façons, il faut faire autre chose que le Cinéma aujourd hui. Il faut être fou pour investir la dedans. Ceux qui travaillaient avec moi sont tous partis : le caissier est a la retraite et le placeur travaille comme serveur dans un café. Moi je suis sans emploi depuis qu ils ont fermé », affirme Bouchaib.
Dans la cabine technique, le cinémascope poussiéreux semble tenir tête au passage du temps. « On ignore ce qu il adviendra des machines après la démolition du bâtiment» indique Bouchaib.
Au bord de la faillite, les propriétaires préfèrent investir dans une autre forme de commerce. En consultant les registres d’inscription des recettes brutes journalières de Paris Ciné, on remarque une chute considérable du nombre de places entre les années 80 et la fin des années 90. Alors qu en 1985 on comptait une moyenne de 678 tickets vendus, en 1992 on en compte seulement 77. c’est a ce moment la que la crise se déclanche. Les locaux sont ruinés et la salle ne peut plus s’accorder le luxe de diffuser de grosses productions hollywoodiennes telles que « Danser avec les loups ». Elle se rabat principalement sur des films indiens, jusqu a s’essouffler.
Les unes après les autres, les salles obscures subissent le même sort a El Jadida. Le Marhaba a laissé place a un vaste centre commercial portant le même nom. Monsieur Kaoumi, l’ex-propriétaire du foncier Marhaba clame : « Cinéma Marhaba n’existe plus, on en parle plus ! Pleurer après les morts n’est qu une perte de temps ».
Une construction, renfermant un ensemble de magasins incohérents, a remplacé le Cinéma Rif. Seule demeure une petite salle de quartier a Derb Ghellef, communément appelée « Cinéma Bouhalloufa » nommée également Cinéma Malaki, dont les habitants de la ville ignorent l’existence. Fermée, cette salle risque autant que les autres.
Manifestement, mutisme et cécité semblent être le lot du 7ème art a El Jadida. Zéro salle de cinéma pour 1 128 098 habitants : constat déplorable pour l’un des pôles industriels et touristiques les plus prometteurs du royaume. La nouvelle génération est contrainte a se déplacer aux grandes métropoles pour go»ter aux plaisirs du grand écran.
En posant la question a quelques nostalgiques anonymes : « a quand remonte la dernière fois que vous avez fréquenté une salle de cinéma ? », vous serez surpris d’entendre que pour certains, cela remonte a plus de vingt ans. « en 1950, j ai vu « la Salaire de la peur » avec Yves Montand, dans cette salle même. J ai vu aussi « les maudits du château fort », « la lettre inachevée » et bien d’autres. On avait alors deux moyens pour se distraire : le cinéma ou la plage. Aujourd hui le DVD et le home cinéma ont tout exterminé. » Confie Monsieur El Maizi, ancien cinéphile.
Cinéma Dufour pour les intimes, n’a pas souffert d’atteindre un siècle. Epuisé et dévasté, il rend l’âme au regret des amateurs du grand écran. Si l’on tient pour vrai que les morts ressuscitent au cinéma, alors a quand la résurrection ?
Nada Naami
Eljadida.com