L abnegation d’une veuve

Elle était encore une jeune femme, a la fin des années cinquante, un jour du mois de février, son mari décéda a la suite d’une maladie incurable. Il lui laissait quatre enfants : deux garçons et deux filles a bas âges et enceinte d’un cinquième, qui après sa naissance, elle lui a donné le prénom de son père. A l’époque, même l’aîné n’était pas encore scolarisé.

Elle héritait de son mari deux modestes maisons, une a la campagne aux environs de oulad ghanem, l’autre a la ville d’El-jadida, mais aucune autre ressource.

Pour assurer l’avenir de ses enfant, elle céda la maison de la campagne a ses beaux-parents et prendre celle de la ville. Elle s’y tenait tellement pour scolariser ses enfants.

Le jour des obsèques de son mari, elle avait reçu les promesses de soutiens de tout le monde : de sa famille, de celles de son mari et même des amis de son mari.

Durant les premiers mois de son drame, elle était vraiment contente de l’aide et les visites de plusieurs membres de sa famille, de ceux de son mari et de plusieurs autres connaissances.

Mais malheureusement au fil des mois et des ans, l’aide et même les visites diminuaient progressivement.

Dans l’absence des visites de ses frères, c’était elle qui se rendait chez eux aux environs de Moul- bergui, dans la région d’abda son lieu natal. Elle se rendait, non pas pour recevoir leurs aides, mais pour récupérer sa part des biens de son père. Des terres que ses frères exploitaient pour leurs propres comptes. Elle revenait souvent avec le minimum, car ses gourmands de frères au lieu de lui donner sa part et d’en ajouter un peu pour l’aider a nourrir ses enfants, ils se cacheraient souvent sous l’alibi de la sécheresse ou des inondations.

Pour compenser leurs défaillances, ils la conseillaient de se remarier. Une fois, lors de sa visite annuelle a la fin du mois d’aout, ils lui ont proposée un homme. Un riche fellah, un veuf du douar ayant dix enfants dont sept garçons encore célibataires ! Elle s’y opposait farouchement. Je me suis remarié avec mes enfants lança-t-elle a qui voudrait l’entendre. !! Elle cria même au visage de l’un de ses frères ! Je vous prie de ne plus me parler du remariage. Ce jour la, une page a été tournée dans ses relations avec ses frères.

Ainsi, la grande aventure commençait pour cette femme, devenue du jour au lendemain, responsable de la nourriture de cinq bouches. Elle qui, du vivant de son mari ne se soucierait nullement de la vie, son mari chauffeur routier, lui rapportait tout ce qu elle avait besoin, elle passait ses journées a tisser la laine et a bavarder avec ses voisines du tout et du rien.

Après la mort de son mari et le désistement de tout le monde, c’était la fin pour elle, la fin des longues discutions et interminables racontars. Elle retroussa ses manches et parte a la recherche du gain pain pour subvenir aux besoins de ses cinq gosses.

Au début, elle se contentait de quelques petites tâches, chez des connaissances pour quelques maigres dirhams et peu de provisions.

A force de ne rien recevoir de ses frères et en commun accord avec ses enfants, elle décida de vendre sa part de l’héritage de son père. Elle était dans l’obligation de le céder a ses frères au prix qu ils ont conclu. Une misère !

Elle vendait aussi, la quasi-totalité de son mobilier, même le seul tapis qui lui restait. Un tapi que son mari acheta un jour de la ville de Fes, lors de ses nombreux voyages de travail.

Elle était obligé de le faire, car elle doit et, a tout prix faire scolariser ses enfants, au moins les garçons. d’ailleurs c’était la raison pour laquelle, elle a cédé la maison de la campagne a ses beaux-parents.

Conseillée, par de l’une de ses voisines, elle décidait de travailler dans la cueillette et l’emballage des tomates dans les fermes situées sur le littorale atlantique, menant vers oualidia. Durant les premiers jours, elle avait honte de fouler ces fermes où mon mari était fort bien connu. Elle prenait toutes les précautions pour éviter d’être reconnue. Elle évitait de parler de son mari, ni de son origine. Elle était dans l’obligation de le faire. Il faudrait nourrir ses enfants, et pour ça elle était prête a tenter l’impossible a cacher son identité, a mentir même, s’il le faut, pour garantir le strict minimum a ses progénitures.

Quelques mois après, elle se dévoilait, plusieurs connaissances de son mari, l’ont reconnue. Elle s’y résignait.

Journellement, elle se réveillait a quatre heures du matin pour rejoindre lalla zahra, lieu de rassemblement des camionneurs, pour ne revenir que tard le soir.

Avec un seau d’eau, puisé par ses filles de la source de Mouilha elle se lavait, avant de venir sasoir prés de ses enfants, autour d’une piètre table, sous la lueur d’une bougie. Comme dîner c’etait généralement du thé et du pain, quelquefois un peu de beurre.

Généreuse, comme elle était, le jour de sa paie, le samedi elle achetait au souk hebdomadaire un peu viande et avec quelques variétés de légumes, ramenées des fermes, elle préparait le dîner malgré sa fatigue, un dîner toujours aussi délicieux, l’un que l’autre. Elle seule, connaissait le secret de ces succulents plats.

Elle profitait, souvent de ces moments de ralliements de ses enfants, pour leur prodiguer des conseils, en leurs citant des exemples et même des anecdotes.

Au moment où ses enfants, mangeaient, elle se contentait de prier le bon dieu de lui donner longue vie, et voire ses enfants, devenir des hommes, des fonctionnaires pour la faire sortir de cette misère. Elle se contentait de quelques bouchées et quelques morceaux de légumes. La viande, elle la partage entre ses enfants sans prendre une miette.

-Mais, toi tu ne manges pas un peu de viande maman ? Lui lança l’aîné !!
-Oh ! Tu sais mon fils, moi la viande, je l’ai dans mes gencivesc était sa réponse éternelle.

Au moment où, Les jours, les mois et les ans se succédaient pour cette femme a la fleur de l’âge, ses enfants constataient, d’un jour a l’autre les séquelles de son dur labour.

Durant les trêves agricoles, elle se contentait avec d’autres femmes du quartier a ramasser les algues que la mer jetait, sur la petite plage de Mouilha, appelée a l’époque (zliliga). Séchés et vendus a quelques centimes le kilogramme.

Longtemps après, fatiguée et dégo»tée, mais surtout dans le souci, d’être auprès de ses enfants et suivre leurs études de prés, elle décida de quitter ces fermes.

Sans travail, un après midi du printemps, elle faisait un tour au centre ville, aux alentours du mellah, (cité portugaise), elle rencontra par hasard l’épouse d’un notable de la ville, qui lui proposa de la prendre comme femme de ménage, ce qu elle accepta sans hésitation.

Après, c’est l’une de ses filles qui a était confiée a la même famille, ensuite c’est au tour de son fils cadet, élève en primaire qui a été pris en charge par l’un des fils du même notable, directeur d’une école primaire dans les environs.

Elle ne lui restait a sa charge directement que l’aîné qui est en secondaire, le benjamin en primaire et l’autre fille qui s’occupait de la maison. La vie coulait tranquillement..

Chez ce notable, elle a connu les pires moments de sa détresse, souvent elle se contentait d’un morceau de pain et une gorgée de thé, pour pouvoir laisser son repas a la portée de ses enfants. Elle le cachait a la vue de ses employeurs dans une gamelle quelque part dans la grande demeure, jusqu a l’arrivé de son benjamin qui s’occupera de son acheminement a sa maison, dans le quartier de Mouilha, pour la partager le soir entre eux.

Par peur d’être, licenciée elle était prête a faire toute les tâches, même les plus délicates, elle faisait : le ménage, la vaisselle, la cuisine et les courses au marché. Souvent sur son dos, elle faisait monter a la terrasse un sac de blé de plus de 30 kgs, pour le laver et le sécher, avant de le faire descendre et l’acheminer toujours sur son dos au moulin, sise a sidi Daoui. Elle le ramenait par la suite, après une attente qui pouvait durer plusieurs heures.

Quelquefois, malade elle demandait l’aide de son fils aîné. Jamais n’a eue la moindre aide de ses obèses, employeuses.

Juin, 1969, son fils aîné décrocha son CES.

Elle était au ange ce jour-la, soulagée et heureuse comme une hirondelle. Elle s’est précipitée d’annoncer la nouvelle a ses employeuses, a ses voisines et a toutes ses connaissances. Elle était fière, qu un de ses enfants arrivait a décrocher ce diplôme qui pourrait lui ouvrir la porte du travail. Heureuse de constater que son enfant soit l’un des tous premiers diplômés des enfants de son âge du quartier.

Dans son quartier, les enfants de ses voisines redoublaient a chaque année. Ses petits, a elle non jamais connus cette déception. Elle se vantait de cette réussite. Elle se considère plus qu un homme. Elle le dit souvent avec une fierté, d’une femme conquérante.

Souvent, elle entendait, ses voisins dire a leurs enfants :
-Regardez ! Les enfants de la veuve de quoi ils sont capables ! Eux qui travaillent et n’ont pas besoin d’un père pour les surveiller. Leur frère a eu son CES, dés la première session.

Fin 1969, après sa visite a l’un de ses frères a Casablanca et sur son conseil, elle décida de quitter définitivement la ville d’el Jadida pour s’installer a cette métropole, ville qui va s»rement lui ouvrir d’autres voies, d’autres horizons.

aout 1970, elle s’installait a Casablanca et comme femme de ménage elle travaillait chez des européens dans le quartier chic de l’Anfa. Bien payée, elle a louait une maison et vivre tranquillement avec ses enfants a ses cotés.

Vu, son sérieux, elle n’avait aucune difficulté a trouver du travail dans le même quartier, pour ses deux filles et son fils cadet qui a quitté l’école prématurément.

Septembre 1971, son fils aîné, s’engagea dans la Gendarmerie Royale. Le benjamin poursuivait ses études en secondaire. Avec sa paie hebdomadaire et celles de ses enfants, ils menaient une vie convenable. Le benjamin, en absence de son frère aîné s’occupait des comptes et de l’ordinaire.

Après deux ans de stage, fin Septembre 73, l’aîné fut affecté dans une ville du nord, trois ans après, il s’est marié.

Le benjamin, le rejoint a cette ville, où il continuait ses études jusqu a l’obtention de son BAC, et continua ses études a la faculté d’Oujda avant d’y renoncer pour plusieurs facteurs.

L’année scolaire suivante et avec l’aide financière et morale de sa belle sœur, en femme gentille et aimable, a rejoint la Belgique. Il s’est inscrit dans un institut d’ingénieur où il décrochait quelques années après son diplôme d’ingénieur industriel, en ponts et chaussées.

Ce benjamin, qui depuis sa lointaine jeunesse, gérait les économies de sa mère, a acquit une certaine expérience qui lui a donné la notoriété de bien tenir le rôle de l’économe du foyer. Rien n’est inutile pour lui, c’est pourquoi, il prend soins de ses livres, cahiers, stylos ou crayons.

A Casablanca, au lycée, il avait un crayon qu il utilisait durant, plusieurs années scolaires. Il prend toujours son temps pour le tailler minutieusement. Au fil des ans, ce crayon s’usait progressivement, au point quil ne restait de cet outil, qu un bout de deux centimètres, son professeur lui a posé la question habituelle que comptez-vous faire dans l’avenir ? il lui répond un ingénieur .Alors, le professeur se dirigea vers lui, prend le bout du crayon entre son pouce et son index pour bien montrer sa taille et l’exhiber a la vue de toute la classe tout en déclarant avec un air moqueur : c’est avec ça que tu comptes devenir ingénieur ?

La classe, toute la classe s’éclatait de rire.

Lui, en enfant aguerri, se calma et tout bas, dans son for intérieur, chuchota : vous allez voir.Cher professeur ! Rira bien qui rira le dernier ! Qui vivra, verra.

Des années après, Ingénieur comme il est devenu, il s’installait en Belgique, s’est marié a une belge et a eu deux filles. Ils menaient une vie heureuse et tranquille.

Sa mère, cette veuve, avec la conscience tranquille, et fière d’avoir pu mener ses enfants a bon port, elle se contentait de visiter ses enfants a tour de rôle, sans oublier de faire de temps a autre, quelques sauts éclairs au bled pour rendre visite a ses frères, sans aucune rancune.

Atteinte, d’une maladie, elle s’est rendue chez son fils en Belgique. Toute seule en avion, elle qui au début de son calvaire n’y pensait même pas.

Le 15 Décembre 1991, elle rendue l’âme, chez son fils aîné a Bouznika, où elle a été enterrée, entourée de tous ses enfants. Avec un seul regret, n’ayant pu voir l’achèvement de sa maison d’El-jadida, après avoir assisté a sa démolition et aux débuts des travaux de sa reconstruction, par ses deux fils l’aîné et le benjamin.

La maison dont elle garde beaucoup de souvenirs heureux et malheureux. La maison témoin du courage et de l’abnégation d’une veuve

A chaque rencontre, l’aîné et le benjamin se posaient la question suivante :
-Est si, notre mère avait optée , pour le remariage, pour refaire sa vie ?
-Dieu Seul, sait où serions-nous ce jour !!!!!

Qu elle repose en paix. Elle qui a sacrifiée sa jeunesse, sa vie toute entière pour faire de ses enfants, des hommes et des femmes, avec abnégation, beaucoup de sacrifices et un altruisme sans égal

Ses enfants, continuent et continueront toujours a prier pour elle et a se rappeler de cette courageuse et dévouée veuve.

Cette femme, cette mère exceptionnelle, c’est ma mère, c’était notre chère et regrettée mère, morte et enterrée, il y a des années, loin des terres de ses parents et celles de ses enfants.

Que dieu la bénisse


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