Eprouvés par des années de sécheresse et des promesses d’une mise a niveau qui, a leurs yeux, tarde a voir le jour, les betteraviers manifestent leur ras-le-bol. Même la récente augmentation des prix de vente n’arrive pas a dissiper la tension latente. En effet, rappelons-le, un réajustement des prix avec une hausse allant de 40 a 60 DH selon les régions (65 DH pour Doukkala-Abda pour une teneur en sucre de 16,5%) a été opéré faisant passer les prix de 325 a 385 DH/tonne en moyenne. Hausse qui sera effective au cours de cette campagne. Ce qui ne manquerait pas d’augmenter les revenus des agriculteurs. Mais, aux Doukkala, les fellahs préfèrent voir pour croire. «Tant que ce n’est pas dans notre poche, nous nous pouvons y croire». Un scepticisme qui en dit long sur l’état d’esprit qui règne au sein de l’activité.
Pourtant, se souvient M.M., un betteravier de la région, il y a quelques années, la culture de la betterave a sucre était rentable et les agriculteurs n’avaient pas a se plaindre. Les rendements étaient probants et les charges moins lourdes. «Le rendement était alors de 70 a 75, voire 90 tonnes/hectare. Depuis quelques années, c’est a peine si l’on arrive a réaliser 60 a 65 tonnes. Dans certaines exploitations, le rendement peut tomber a moins de 40 tonnes/ha». A l’échelle nationale, la culture betteravière affiche un rendement moyen de l’ordre de 54 tonnes a l’hectare. La production globale est d’environ 3 millions de tonnes par saison.
M.M., qui est également président d’une commune rurale des Doukkala, produit de la betterave sucrière depuis 1986. Il y consacre 6 hectares de son exploitation. Comme d’autres agriculteurs, il ne cache pas son dépit: «la richesse en sucre a également baissé. De 17 a 20%, elle ne franchit plus la barre des 16-17%». Or, justement, la question de la teneur, déterminante dans le calcul du prix de vente, tient pour les agriculteurs de la quadrature du cercle. Ici, les producteurs se demandent «pourquoi des échantillons prélevés sur une même parcelle n’affichent pas la même teneur». Pour eux, ce n’est pas a l’acheteur, la Cosumar en l’occurrence, de déterminer la richesse en sucre. «On ne peut pas être juge et partie en même temps!» s’indignent des agriculteurs. Pour eux, la teneur en sucre, ainsi que la pesée et autres opérations devraient être confiées a une entité, un laboratoire indépendant ou placé sous contrôle de la tutelle. «Cela permettrait de rétablir la confiance entre les agriculteurs et la Cosumar qui sont voués a travailler ensemble», note S. B. Avis partagé par M. M. qui estime que le développement de la culture betteravière et sa pérennité tiennent a une plus grande implication des différentes parties prenantes, Cosumar, l’Office régional de mise en valeur agricole des Doukkala (ORMVAD) et toute la chaîne des opérateurs de la filière. «Les responsables, on ne les voit qu au moment de la vente de la récolte, et encore, puis après on n’existe plus pour eux, jusqu a la suivante», déplorent des agriculteurs de la région.
L’encadrement est l’autre thème qui revient comme une litanie chez les betteraviers doukkalis. «Depuis que l’Office n’assure plus la distribution des engrais, il a coupé le contact avec l’agriculteur qui se retrouve du coup livré a lui-même», grogne ce betteravier de Larbaâ Aounat. Pas d’encadrement, cite-t-il en exemple, pour déterminer les dosages des fertilisants en fonction de la nature et besoins du sol, avec toutes les conséquences que cela implique en matière de rendement. Pas non plus d’assistance dans la lutte contre les parasites et maladies qui détériorent les cultures. d’où, selon lui, les innombrables problèmes qui alourdissent les co»ts de production et grèvent le budget de l’agriculteur sans aboutir au rendement escompté au bout de la chaîne.
Une association tant décriée
De l’avis des agriculteurs doukkalis, si l’amont de filière sucrière traîne autant de boulets, c’est en grande partie faute de bonnes associations représentatives. «L unique association existante ne représente pas convenablement les betteraviers. Elle ne défend en aucun cas nos intérêts», s’accordent a dénoncer des fellahs de la région. Ce que réfute le président de l’association, Abdellatif Kandil. De toute manière, concède-t-il avec philosophie, «quoi que l’on fasse, l’association sera toujours accusée de ne pas en faire assez !»
Autre grief: le mode d’adhésion et les cotisations. «L adhésion est obligatoire et la cotisation est prélevée automatiquement au moment de la vente de la récolte: 2 DH/tonne», indique S. B. Ce qui chiffre, sachant que l’association compte pas moins de 22.000 adhérents. Où passe tout cet argent? s’interroge-t-on parmi les betteraviers. «Si seulement, cela est utilisé pour rendre l’amont de la filière plus performante», s’indigne S. B., et de poursuivre: «on veut une association qui dépense mieux ce qu elle prélève», insiste S. B. Pour Abdellatif Kandil, président de l’association des producteurs de betterave des Doukkala-Abda, tout est précisé dans les statuts de l’association. Et l’obligation d’adhésion et les cotisations sont justifiées. «Toutes les opérations menées par l’association profitent a l’ensemble de l’activité, argue-t-il. «Il est donc normal que tout le monde mette la main a la poche!»
K. E. H.
Al Bayane