La broderie Zemmourie: un dragon, une histoire

La Broderie est un art traditionnel ancré dans la culture populaire marocaine. Un art aux dimensions économiques, sociales et culturelles multiples. c’est aussi un prétexte pour tisser des liens, des amitiés, voir des complicités entre des femmes et jeunes filles solitaires, isolées qui y trouvent un moyen de s’en sortir et d’améliorer leur situation.

Si la broderie était considérée autrefois une base incontournable de l’éducation des filles de riches, beaucoup de filles la pratiquent aujourd hui faute de pouvoir suivre ou poursuivre leurs études a l’école. Elles s’engagent dans ce métier pour gagner leur pain.

Les traditions d’autrefois ordonnaient que les jeunes filles ornaient elles-mêmes leurs robes de mariage et qui sont bien s»re marquées par des signes propres et des traces propres a chaque culture et a chaque identité. La jeune fille marocaine orne ses habits en attente de son Ulysse, remplissant le vide de tissu avec mille et une croix (Ghorza). Les distances sont soigneusement calculées, puisque c’est un art qui refuse toute erreur: un travail dur, minutieux, axé sur la précision. l’œil veillant arrange les couleurs. Cet art est transmis de mère en fille. Chacune garde les secrets de l’art comme elle garde l’héritage des ancêtres, dans des tiroirs. La valeur de l’oeuvre est associée a la précision et le savoir-faire de l’artiste.

Elles dessinent des croquis: c’est le jeu du fil, et brodent des formes et des couleurs. Utilisant des couleurs vives: le rouge et le noir, le vert et le jaune, etc…: celle-ci brode des formes géométriques, des fleurs, l’autre illustre a travers le cadre en bois « lemremma » des paons, des lapins, des branches des arbres, des dragons.

Pour comprendre l’histoire du dragon imprimé sur la toile blanche des broderies zemmouries un regard sur le passé d’Azemmour, l’antique AZAMA nous apportera certainement une explication.

Azemmour est parmi les rares villes du Maroc a susciter l’intérêt de grands historiens marocains ou étrangers tel Jean Darlet enseignant français a Azemmour pendant l’occupation française, Zimmerman, Prosper Ricard et Jamal EL BAZ.

D après Prosper Ricard dans “Guide bleu, Maroc” : l’antique Azama f»t un comptoir très fréquenté par les Carthaginois. On y a découvert des f»ts de colonnes de marbres qui semblent appartenir a l’époque punique. (Voir le voyage d’Hannon en Afrique)
Après la prise de Sagonte, Hannibal passa prendre l’armée cantonnée a Carthagène, repartit en direction de l’Ebre en suivant la côte et dépassa la ville d’Onussa. La, selon la tradition, il vit en rêve un jeune homme d’apparence divine, qui se disait envoyé par Jupiter pour conduire Hannibal en Italie : il suffisait de le suivre et de ne pas le quitter des yeux. Effrayé, Hannibal le suivit d’abord sans regarder autour de lui et sans se retourner ; puis, poussé par une curiosité bien naturelle, il voulut savoir ce qu on lui interdisait de regarder derrière et ne put s’empêcher de se retourner; il vit alors un énorme dragon qui faisait un affreux massacre d’arbres et de branches ; et derrière lui éclatait un orage, avec des coups de tonnerre.

Quand il demanda ce que signifiait cet animal monstrueux et ce présage connu par le « songe d’Hannibal », on lui répondit que c’était le désastre de l’Italie : Qu il poursuive donc sa route sans se poser d’autres questions et qu il respecte les secrets de la destinée.

La découverte a Azemmour de ces f»ts de marbre ornés par des inscriptions et des dessins des dragons, arbres, et branches, ont été reproduits sur le blanc du tissu, devenue alors la broderie zemmouri, expression culturelle et historique profonde, les femmes et les jeunes filles brodent toutes sortes d’habits (Djellaba, robe etc… sans oublier, les pièces d’ameublement (les nappes et napperons et les paravents), ces jeunes filles deviennent alors confirmées « MAALMAT » et transmettent leur savoir faire.

Ces gestes récurrents, ces rituels cérémoniels ont tissé des destins de femmes pendant plusieurs siècles.

La ville d’azemmour a toujours été connue pour la finesse et la beauté de ces broderies mêlant le style romain, carthaginois, arabomusulman et juif; le blanc, le noir et le grenat y sont omniprésents. Les références des objets décoratifs en plus des dragons sont représentées par des illustrations animales : paon, lapin, arbres et branche… sans oublier la broderie ZIN OU LBA représentée par des fleures et formes géométriques multicolores.

Les broderies dans d’autres régions du Maroc sont inspirées par les aspects de la nature (arbres, fleurs…). On trouve aussi dans certaines régions du nord, des formes géométriques: triangle, carré, cercle, inspirée certainement par la broderie occidentale. Chaque grande ville ou métropole ancienne telles que Fès, Meknès, Tétouan, Chefchaouen, Rabat, et Salé s’efforça a produire un modèle qui lui est propre, d’où les appellations de terz el fassi, terz el meknassi, terz rbati, terz slaoui, terz titouani, et les broderies de Tafilalt et de Laâyoune.

Et selon certains chercheurs la broderie a été introduite en Andalousie lors de l’existence arabe en Espagne.

La broderie au Maroc d’aujourd hui. Un témoignage vivant, d’une richesse séculaire qui défie le temps en imprimant sur les tissages les rêves d’hier et ceux de demain.

Photo ci-dessous : Exposition de broderie en France organisée par l’association Symbiosis et Takafoul sous le thème « Rachida et Aïcha, Tisseuses de l’espoir et de l’équité ».

Kamal Belmabkhout (association Symbiosis)
Eljadida.com

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