Des jeunes et des moins jeunes sortent de leur foyer pour venir squatter les bancs des jardins publics, s’installer sur les terrasses des cafés ou tout simplement marcher tout au long des ruelles marchandes. Nous quittons rapidement ce paysage bouillonnant pour un autre plus paisible. Les remparts de la cité portugaise de l’ancienne Mazagan nous accueillent majestueusement. Perdus dans ce lieu historique, nous demandons a quelques habitants du «mellah» de nous indiquer la salle d’exposition Chaibia Talal mais tous ignorent même son existence. Après des va-et-vient, nous finissons par trouver ce lieu tout aussi magnifique que son emplacement. c’est ici que la Compagnie 11.org implante son chantier chorégraphique. Les ouvriers ne sont autres qu une vingtaine de jeunes jdidis, âgés entre 15 et 44 ans. Issus de niveaux scolaires et de milieux sociaux différents, ils sont tous la pour s’essayer a la danse contemporaine.
Après un premier volet dédié a l’initiation a la danse contemporaine, les membres de la compagnie s’attèlent cette fois-ci sur la formation avant de conclure avec la partie création prévue pour novembre prochain. «Cela fait deux semaines que nous dispensons des cours de danse contemporaine a des jeunes de la ville. Cet atelier englobe une partie théorique et une autre sur la pratique corporelle», nous explique Brahim Sourny, membre de la compagnie. Il ajoute «Ce Chantier Chorégraphique donne aux participants la possibilité de se rencontrer a travers une pratique corporelle qui est la danse contemporaine, c’est également un espace d’apprentissage, de recherche et de création ou le corps et l’esprit sont sollicités.» Dans la salle d’exposition, devenue pour l’occasion une salle de danse, des lumières tamisées qui éclairent les cimaises de cette unique galerie d’art de la ville nous accueillent dans une ambiance quasi romantique.
Sur la «hssira», en guise de tapis de danse, est installée une vingtaine de danseurs ou plutôt d’apprentis danseurs. En face d’eux, un écran de télévision sur lequel ils regardent attentivement des documentaires sur la danse. Aujourd hui, nous apprenons l’histoire de la danse aux Etats-Unis. «Ces documentaires permettent aux étudiants de cerner les différents aspects de la danse, son évolution et sa richesse a travers l’histoire de chaque pays» argue Sabine Massonet, l’autre, membre de la Cie 11.org qui compte deux personnes et non pas onze comme son nom laisse supposer. Le calme quasi religieux de la salle est constamment interrompu par des voix d’enfants qui résonnent comme des rires, parfois comme des cris ou des pleurs. Ce sont les mômes du quartier qui, curieux par cette présence étrangère et inhabituelle, viennent jeter des coups d’œil subreptices. Après la fin du film, c’est au tour des cours pratiques. Rapidement, les stagiaires prennent place devant leur professeur, Sabine. Au menu du jour, des cours de Vinyasa Yoga.
«c’est une pratique qui allie le travail de respiration et de posture qui apporte force, souplesse, maîtrise et détente. Une très grande précision est recherchée, en accord avec les besoins personnels de chacun. a permet au danseur de prendre conscience de son corps et de sa présence mais aussi de l’autre et de l’espace qui nous entoure», explique Brahim. Place maintenant a l’exercice d’improvisation et c’est Brahim Sourny qui devient le maestro de cérémonie. Le principe du jeu est simple, chacun des stagiaires défile sur «scène» et dévoile ses talents devant ses camarades en exécutant des pas de danse contemporaine sur des rythmes de Jumbé et de guitare. Parmi les jeunes talents du soir, Khalid, 23 ans. Etudiant a la faculté, il vient ici quotidiennement pour go»ter aux plaisirs de la danse sans pour autant vouloir en faire son métier ni son hobby. «c’est une activité complémentaire que j ai voulue pratiquer pour m essayer a une nouvelle chose.
En plus, j ai toujours été curieux de connaître les effets de la danse et de la chorégraphie. Ca distrait et ça amuse», nous confie Khalid d’un air indifférent. Contrairement a ce premier, Souad, elle, est une grande passionnée. Elle vient ici avec un seul objectif en tête, être retenue pour le projet de création et, pourquoi pas, devenir une étoile de danse a El Jadida. Elle partage avec nous ses émotions «Je suis très heureuse de participer a cet atelier. a m a aidée a connaître les vraies valeurs de la danse et ses bienfaits sur le corps et l’esprit en plus du fait que mon amour pour cette discipline a doublé.»
De la vingtaine de stagiaires, les meilleurs seront retenus pour réaliser un travail de création qui s’inspirera probablement de la citerne portugaise. «On compte pousser la recherche vers une œuvre chorégraphique qui sera diffusée plus tard et après maturation a El Jadida et ailleurs. Cette intervention fait partie intégrante de la démarche de la Cie 11.org qui est de contribuer au développement de la danse contemporaine», conclut Brahim. Nous quittons le chantier chorégraphique d’El Jadida et laissons ses ouvriers travailler en attendant de les voir a l’œuvre en novembre prochain.
A la recherche d’un espace pour la danse
Alors qu ils devaient occuper la salle de danse du théâtre municipal de la ville, les membres de la Cie 11.org et leurs stagiaires ont d» squatter la salle d’exposition Chaibia Talal. «On a été chassé du théâtre municipal au bout du troisième jour.» déplore Brahim Sourny. Un des responsables du théâtre a imputé cette décision a l’absence d’un partenariat officiel entre les deux parties. Loin de ce litige, l’absence d’autres espaces du genre a El Jadida serait a l’origine du manque d’activités culturelles.
Khadija Smiri
Le Matin