C était après une nuit de sommeil impossible. Non pas la très redoutée “insomnie”… non, non, bien pire! Un de ces “sommeils” que les êtres dits “humains” ne connaissent hélas que trop, parce que, peut-être, ils ne les méritent que trop : ceux où les cauchemars les plus “invraisemblables”, par définition, envahissent, avec un délice diabolique, le “terrain” d’une “vie réelle” déja insupportable.
Cette nuit la, le vieil homme très simple et très digne (ces deux qualités allant toujours de pair) fit ce cauchemar épouvantable, qu il accepta un jour de me confier a l’oreille, alors que nous admirions ensemble l’immensité rugueuse et fière de notre pays, le Maroc…
“Mon ami, même toi, peut-être, tu vas avoir du mal a me croire et pourtant tu sais qu il faut me croire, parce que tu connais mon horreur du mensonge et de l’imposture! Voici, très exactement, le cauchemar que je fis cette nuit la, ce cauchemar qui métamorphosa, comme tu peux aisément le constater, mon existence!” Et il poursuivit…
… toute ma vie je n’ai connu que le coin de terre aride qui m a été dévolu par la volonté de Dieu-Tout-Puissant. Jamais je ne m en suis plaint, tant j ai eu conscience, dès ma prime enfance, que le Paradis sur cette terre ne pouvait se trouver ailleurs qu entre ces ronces, sous ce soleil de plomb, avec quelques gouttes d’eau miraculeuse que le ciel m offrait, juste quand il le fallait, juste ce qu il fallait, pour accomplir mes ablutions sacrées, mes prières et étancher ma soif de vie et de contemplation…
…Dieu-Tout-Puissant m épargna alors ce qu il réserve généralement a ceux et celles (et tu sais a quel point ils et elles sont nombreux et nombreuses..) qui commettent le sacrilège de penser qu ils et elles sont les maîtres absolus de ce monde merveilleux qu ils et elles passent leur misérable et illusoire “temps” a saccager méthodiquement…
…exploitant sans vergogne tout ce qui leur paraît “exploitable”, tant dans la splendide nature que dans la vulnérabilité des plus faibles, des plus démunis! Dieu-Tout-Puissant, loué soit son Nom, m épargna donc tout “cauchemar”, et mes nuits furent ce que furent mes jours : des instants immobiles et extra-ordinaires de Paix dans la prière consciente ou inconsciente du Silence béni, dans l’harmonie sacrée entre l’éphémère “vie” humaine et l’Eternel…
…jusqu a cette nuit où tout a basculé pour moi! Cette nuit, pour la première et unique fois de ma vie, Dieu-Tout-Puissant m envoya ce cauchemar comme un Message sans ambiguité aucune : vieil homme, ton heure est venue! Par ta vie telle que devrait être toute vie, Je considère que tu as mérité la nouvelle mission que Je t attribue désormais : TU VAS T ENVOLER POUR d’AUTRES CIEUX!
… J étais bien loin de me douter qu il me fallait prendre ces mots “a la lettre” : j allais bel et bien devoir m “envoler vers d’autres cieux”, en effet! Dieu-Tout-Puissant, évidemment, étais-je donc a ce point sot, ne pouvait, comme un futile être humain “jouer sur les mots”!
… mais je vois que tu trépignes, n’est-ce-pas, tu es pressé, tu veux que j aille, le plus vite possible, “a l’essentiel” : ce cauchemar, ce cauchemar, enfin, quel est-il donc? Mon ami, ne le prends pas mal, car tu ne fais en cela qu être fidèle a ta condition d’homme impatient même quand il est “sage”! Et si l’important c’était justement ce qui t a tenu en haleine et non point l’assouvissement tout-a-fait “naturel” et respectable de ta très “normale” curiosité?…
… Cette nuit la, une vision épouvantable, qui dura peut-être une seconde, c’est-a-dire une ETERNITE, me fit bondir, bondir, oui, moi, tout perclus de rhumatismes que je sois, de ma couche : UN FAUCON, UN FAUCON, entends-tu, était, sous mes yeux exorbités, égorgé comme un poulet par une horrible chose a l’allure humaine, mais enfin, bien s»r, cela ne POUVAIT PAS être un homme!
… j en ai suffisamment dit, mon ami, accorde moi de ne plus avoir a me remémorer cette scène insoutenable, au risque d’en perdre l’esprit…
… ayant ainsi, horrifié, bondi de ma couche, je me suis réveillé la où nous sommes, la où je t ai invité parce que je connais ton coeur et ton âme, sur ce rocher, au sommet de cette montagne de notre Maroc éternel …
…tu es debout, comme toujours, tu admires l’ETERNITE, comme toujours, et moi, je suis sur ton épaule, dépouillé de mes oripeaux d'”être humain”, revêtu de mon flamboyant manteau ailé, les yeux perçants comme la vérité divine, a jamais libre, jeune, fort, majestueux, et je te livre ainsi, parce que c’est toi, le secret de ma naissance…
… oui, mon ami d’au-dela des “espèces”, selon la triste terminologie des hommes vulgaires, je suis “GHIR”, “LE VENT”, tel que m a re-nommé le Tout-Puissant, “GHIR”, le FAUCON EGORGE du cauchemar du vieil homme que j étais, réveillé sans ménagement pour redonner, en laissant derrière lui une vie humaine suffisamment “longue” ou “courte”, comme tu voudras … réveillé pour redonner immédiatement, sans délai, VIE, ETERNITE et GLOIRE a notre noble Faucon égorgé!”
Marcel Benatar
Eljadida.com
