En 1954, un bombardier de l’US Air Force s’écrasait de nuit près du Cap Blanc (Jorf Lasfar). Beaucoup de mazaganais (Jdidis), purent approcher l’épave avant son enlèvement. La vision de cet avion brisé, a marqué durablement ma mémoire d’enfant de 11 ans.
58 ans plus tard, j ai pu enfin connaître l’histoire de ce drame, en me procurant le rapport confidentiel complet de l’accident dans les archives américaines, déclassé aujourd hui, donc accessible a tous.
14 janvier 1954, 18h26, base aérienne américaine de Sidi Slimane.
Le commandant de bord, colonel John Crocker, pousse a fond les manettes des gaz des deux moteurs Pratt et Whitney du Douglas B-26C Invader et l’arrache a la piste. Deux appareils identiques suivront, espacés chacun de 10 minutes. Le thème de la mission consiste en un vol d’entraînement de nuit a basse altitude, d’une durée estimée a 2h30. A sa droite, capitaine Gene Robert, le co-pilote, contrôlera le CDB. Positionné dans le nez en plexiglas de l’avion, le sous-lieutenant Gordon Stewart, navigateur, profitera de la meilleure vue. Enfin, le sergent chef Théo Mac Cool, mitrailleur, se cale dans le refuge de plexiglas sous la tourelle, complètement isolé a l’arrière du cockpit, assis face a la queue l’appareil. Il peut utiliser ses mitrailleuses, en visant au moyen d’un périscope. Il communique et suit les conversations avec l’équipage par un interphone. La météo s’annonce excellente sur tout l’itinéraire avec une visibilité de 10 a 12 Nm (20 km); le vent souffle de l’ouest a 15 nœuds. Cerise sur le gâteau, un magnifique clair de lune embellit le paysage.
Cet aéronef B-26C, n° 43-22590 A, appartient a la 12éme Air Force, au 38éme Bomber Wing et au 405éme Bomber Squadron basé en France a Laon-Couvron, alors base de l’OTAN.
John Crocker, stabilise l’appareil a 2000 pieds (600 m). Cet officier de 39 ans, breveté depuis le 23 mars 1940, affiche près de 4200 heures de vol aux manettes. Sa compétence et son expérience de pilote de bombardier pendant toute la durée de la guerre sont reconnues par ses pairs.
Le navigateur informe les pilotes du cap a prendre en direction du sud-ouest du Maroc. A la verticale de Settat, l’équipage informe Casablanca Control de sa position. Ce contact radio est relayé par l’équipage du vol AF 4104. l’aéronef poursuit sa mission et survole Safi. Second contact radio avec Casablanca relayé par le même avion. «Roger got you» (Bien compris je vous ai reçu). Ce sera le dernier échange radio du CDB John Croker en direction du vol AF 4104 qui le survole. Après un 180°, Gordon Stewart calcule un cap retour au nord-est en direction de la base de Sidi Slimane via Azemmour. l’avion est stabilisé a 1000 pieds (300 m).
Soudain le moteur n°2 (droit) s’arrête. Immédiatement, le colonel ferme sur les commandes, augmente la puissance des gaz des 1850 CV du moteur n°1 (gauche), tout en mettant du pied sur le palonnier gauche pour contrer l’effet de girouette. Cette procédure maîtrisée, doit permettre a l’avion de voler sans difficulté jusqu a l’aérodrome de dégagement le plus proche. Le moteur n°1 s’étouffe brusquement pendant la manœuvre. l’appareil perd immédiatement de l’altitude, le crash est inévitable. Le pilote déclenche l’alarme lumineuse pour informer le mitrailleur, met 10° de volet pour augmenter la portance, allume les feux d’atterrissage, laisse le train rentré et verrouillé et maintien l’avion en vol plané a une vitesse de 130 nœuds, avec un taux de descente de 300 pieds minutes pour éviter un décrochage meurtrier. Les yeux écarquillés, l’équipage se prépare a l’impact imminent sur un plateau aride, caractéristique de la plaine des Doukkala, a une altitude de 230 pieds. Bonne nouvelle, le sol caillouteux, relativement plat, n’est pas urbanisé. Mauvaise nouvelle, les paysans du bled ont amoncelé des tas de pierres pour construire des murets délimitant les parcelles des champs. l’hélice du moteur droit touche légèrement, puis la carlingue rebondit, glisse, dans un fracas épouvantable, sur 200m.
Incontrôlable, l’appareil oblique sur la droite, pulvérise un mur de cailloux et s’immobilise brutalement éjectant ses deux moteurs hors de leur nacelle. Le silence revient progressivement sous les chuintements des tôles distordues, surchauffées ruisselantes d’huile et de carburant. Le sergent chef Théo Mac Cool, légèrement commotionné, se décroche de son siège, et sort de son habitacle par le haut. Il constate que la queue de l’appareil, «proprement» séparée de la carlingue, est intacte. Dans la semi obscurité, il se déplace vers le cockpit. Il constate qu il lui est impossible de désincarcérer ses compagnons prisonniers de la structure envahie de pierres. Le commandant de bord John Crocker et le navigateur Gordon Stewart sont morts. Gene Robert le co-pilote gémissant est très grièvement blessé. Théo part chercher de l’aide. Les paysans marocains alertés par les ratés des moteurs et le fracas du crash se dirigent immédiatement vers l’épave. Ils rencontrent le rescapé et le conduisent vers une maison équipée d’un téléphone. Il appelle la base de Sidi Slimane, la gendarmerie et l’hôpital de Mazagan (El Jadida). Contactée par les autorités américaines de Nouasseur Air Depot, la base américaine la plus proche, celle de Casablanca. Elles dépêchent par hélicoptère une équipe de sauvetage et un photographe.
Le 15 janvier a 2h du matin, le lieutenant Thomas Evans, responsable des secours aériens et des premiers constats, se pose avec ses hommes sur la scène du crash et la sécurise. l’officier demande aux gendarmes d’empêcher les curieux d’approcher ou de prélever la plus petite pièce de l’épave. Les 2 morts et les 2 blessés sont transportés a l’hôpital de Mazagan.
La commission d’enquête estimera que l’arrêt brutal du moteur n°1, pourrait être consécutive a une erreur du pilote dans la manœuvre précipitée de récupération de l’appareil. Elle conclura que l’absence de casques chez les hommes dans le cockpit augmentait les risques de blessures crâniennes fatales, comme ce fut le cas pour le colonel John Crocker.
Le co»t de ce crash en comptant les dommages liés a l’appareil et aux victimes fut estimé a 357.000 $ US de l’époque.
ENCADRE n°1
L’Invader B26 est surtout connu comme le A26, qui était sa désignation jusqu en 1948, digne descendant du Douglas A20 Havoc, cousin du Boston. l’A26 a connu une longue carrière après la Seconde Guerre Mondiale jusqu au Vietnam, utilisé comme avion d’attaque au sol par de nombreuses forces aériennes, dont l’Armée de l’Air.
La construction de son homonyme, le Martin B26 Maraudeur, s’est terminée en 44 et le “faiseur de veuves”, comme il était aimablement surnommé, n’a pas connu la longue carrière de son homonyme, ayant été retiré du service aux Etats Unis en 1948, le Douglas B-26 Invader (ou A selon l’époque)
ENCADRE n°2
La liste de l’USAF sur les crashs d’avions répertoriés au Maroc pendant les années 50 nous apprend que trois F86F de type Sabre (chasseur a réaction utilisé en particulier pendant la guerre de Corée) se sont crashés dans la périphérie de Mazagan.
– Le 19 04 54 a 20 Nq (40 km) de Mazagan, un dans le sud l’autre dans le sud-ouest. Pertes probablement dues a une collision en l’air.
– Le 14 09 54, crash du troisième Sabre dans les environs de Mazagan sans autres précisions.
APPEL A TEMOINS
Qui connaît l’histoire de l’avion, dont la carlingue abandonnée est restée longtemps sur un terrain vague du port de Mazagan, pendant les années 50?
Pierre Larue a Mazagan (El Jadida) de 49 a 58
Remerciements pour son aide précieuse, a mon ami Jean-Paul Mugnier, ancien chef de service a la DGAC Nouméa (Nouvelle-Calédonie)
Pierre Larue
Eljadida.com