Chaque jour, dans les ruelles d’El Jadida, il me semble entendre une véritable sirène, semblable a la sirène de la rupture du je»ne du mois sacré du Ramadan. Cette voix qui interpelle les passants a chaque détour, n’a apparemment pas un âge précis. Elle vous débite un cri strident, venue de nulle part, une voix aigue, par moments assourdissante, qui chante son malheureux destin et qui scalpe a tout instant, le silence d’une oreille attentive et vous invite a un réel questionnement.
Cette voix qui voyage tous les matins, dans chaque coin de rue, vous la trouverez tantôt a Bouchrit , tantôt au quartier d’Essfa ou Derb Berkaoui, a Lalla Zahra ou Sidi Daoui, dans toute artère et dans toute ruelle. Cette voix est celle d’une mendiante d’origine berbère, vieille comme nos ancêtres les imazighenes, ancienne comme le monde de nos aïeuls. c’est un appel qui s’éternise et qui nous rappelle la tragédie de la valeureuse Kahina, l’héroïne berbère qui acceptait de se rendre au prix de la vie sauve pour ses deux fils, après une rude bataille contre l’armée arabe venue en conquérante, de la péninsule arabique, par la force du glaive et du Saint Coran.
Cette femme dont la carcasse boite et déhanche étrangement, nous chante a chacune de ses brèves apparitions, sa vie triste et orpheline, qui crie, qui pleure, qui apitoie les rares passants qui daignent la regarder. Cette femme raconte une histoire sans passé ni avenir, elle nous conte l’étrange destinée d’une vieille orpheline démunie, a l’image du destin incompréhensible de notre culture ancestrale et richement millénaire. Cette dame est peut être l’âme de ma ville bien-aimée et que j ai de plus en plus de mal a retrouver tant elle a horriblement changé. c’est peut être l’esprit ressuscité du Cinéma Marhaba qui erre dans les couloirs gris et froids du centre du même nom, a la recherche des vraies joies amoureuses et cinéphiles d’antan.
c’est peut être la mémoire restituée de l’Hôtel Marhaba, qui se bat corps et âmes contre les démons qui y habitent encore a ce jour, tant l’attente de la délivrance est monstrueusement cruelle. Que dire mes amis, de cette chanteuse infatigable qui doit s»rement s’appeler Fadma, Yezza, Ghannou ou Yitto et qui est peut-être l’esprit de cette terre meurtrie depuis un siècle, par le ciment, la brique et l’asphalte. c’est tout simplement le dessein exsangue de ma terre-patrie qui s’écrase sous le poids du fric et de la maladie contagieuse de la traitresse apparence.
Chantes vieille princesse de l’Atlas, Chantes de ta voix stridente venue du fin fond de l’Histoire, le Monde est entrain de t écouter !
Tarik BOUBIYA
Eljadida.com