Ainsi, ma chronique sur « le livre des prénoms », construite a partir de l’ouvrage de Ghita El Khayat, l’une des plus grandes écrivaines du Maghreb, s’enrichit, au fil des semaines, d’une contribution particulièrement pertinente que nous adresse Abdelghani El Khaldi Dans l’article qu il soumet a notre réflexion, aujourd hui, il étudie le passage de prénoms berbères a la langue arabe. Une mutation intéressante a plus d’un titre, d’autant qu initialement, et Ibn Khaldoun l’écrivait déja il y a bien longtemps, les populations doukkalies -pour ne parler que des Doukkala !- étaient a majorité berbères.
c’est bien que nos lecteurs contribuent ainsi, a leur façon, a l’approfondissement du sujet, qui est un thème permanent car il concerne notre identité, de notre naissance a la fin de notre vie, et même bien au-dela, puisqu on en laisse des traces pour la postérité. (Michel Amengual)
Effectivement, par l’étude des prénoms et des noms, on va savoir leur sens, et en plus on peut mieux comprendre l’histoire et les traits identitaires des personnes, des familles et des groupements humains qui les portent. Il s’agit, la de l’anthroponymie ; « la science des prénoms » comme tu as voulu l’appeler dans le N° 10 de ta chronique, que j ai eu le plaisir de lire ce dimanche.
Je ne suis pas anthropologue, et je ne prétends pas le devenir avec mes contributions a ta chronique sur le « Livre des prénoms » qu a publié récemment Ghita El Khayat. ! Je reste plutôt technologiste et logisticien. Mais l’anthropologie et l’histoire du Maghreb sont ma passion et mon troisième temps avec quelques randonnées quand je peux. Bref !Après avoir exposé, dans le N° 9 de ta chronique, quelques spécimens de prénoms arabes berbérisés, je viens (évidement sous contrôle des spécialistes) montrer cette fois la mutation a l’arabe de ceux qui sont d’ origine amazigh.
Pour ces prénoms immémoriaux, je me suis volontairement limité a un petit bouquet choisi parmi les plus attestés depuis l’antiquité et le moyen âge par notre histoire de l’Afrique du Nord.Mais avant de les passer en revue, j aimerais commencer par un avis de M. Kamal Naït Zerrad, Docteur en linguistique et lexicologue reconnu, qui dans la présentation de son livre le “Dictionnaire des prénoms berbères” (édition ENAG, 2005, Alger), précise que : “Beaucoup d’anthroponymes berbères sont construits selon des formations remarquables et régulières attestées depuis l’Antiquité ou le moyen âge. Ces types ne recouvrent cependant pas tout l’inventaire des formes. Les prénoms sont des mots vivants qui peuvent subir des modifications ou être créés de toutes pièces.
A partir d’une racine et selon la fantaisie du créateur ou son inspiration du moment, une forme plus ou moins arbitraire peut être imaginée et conçue selon des critères esthétiques, sonores ou autres. c’est une des raisons pour lesquelles on ne peut prétendre a l’exhaustivité.” Je trouvé ce livre fort intéressant, et je vous invite a le consulter ! Vous pouvez accéder a son aperçu free dans le web, a travers Google, sous le nom “L officiel des prénoms berbères”. Et un peu plus loin dans ce même livre, Dr. Kamal Naït Zerrad, avise encore : « l’interprétation des anthroponymes et ethnonymes berbères n’est cependant pas toujours aisée et reste fragile, car on peut toujours proposer plusieurs étymologies pour certains types. »
En effet, ces avertissements sont d’une très grande valeur épistémologique. Car s’agissant de prénoms et de noms anciens, dont la plupart ne sont plus usités depuis plusieurs siècles, et qui nous ont été généralement rapportés en d’autres langues, ils ont été plus ou moins déviés et formatés aux moules de la langue de l’auteur et/ou du document qui les atteste. Le sens des prénoms et des patronymes de l’Afrique du Nord antique et médiévale, n’est justement interprété qu en remontant en premier lieu aux racines de la langue et de la culture amazighs. Aussi, on ne peut comprendre et apprécier les prénoms et les noms en arabe qui sont spécifiquement portés par les populations de l’Afrique du Nord, qu en étudiant aussi leur mots équivalent en amazigh. En voici quelques exemples, que l’on peut compléter a loisir :
Toumert : Mot exprimant le bonheur en amazigh, du verbe mmer = être heureux. Comme prénom, il a le sens de « l’Heureux ». Et Toumert est encore porté au Maghreb sous sa forme arabe Farhat et Farhati comme nom de famille, mais peu rencontré au Moyen Orient. Mahdi Ben Toumert : Célèbre Sultan des Almohades qui a marqué l’histoire du l’Occident Islamique en étant le premier unificateur de l’Afrique du Nord et de l’Andalousie.
Yugour-ten, (Yougrta) : du verbe “ager” = dépasser + “ten” = les. Ainsi, ça signifie : il les dépasse , et peut aussi avoir le sens de : le meilleur d’eux . Ce dernier sens se rencontre encore au Sahara sous sa traduction arabe dans le prénom “Akhyarhoum”. A ma connaissance, ce mot n’est pas utilisé en Orient comme prénom.
“Yugour-ten”, est le prénom du neveu de l’un des fils de Massinissa, roi de la Numidie qui entreprit une grande guerre contre les Romains, a qui, il a été livré en 104 av J.C par son beau-père “Boukhous” : roi de la Mauritanie, partie nord occidentale du Maroc actuel.
“Yugour-ten” est considéré comme étant le modèle de la résistance amazigh a l’occupant.
Damya : ou encore Dihya, prénoms supposés de la Reine berbère de l’Aurès. Guerrière et de confession juive, elle est appelée la “Kahina” par les historiens arabes. Elle a mené après la mort du “Kousseyla” une grande et farouche résistance aux avancées offensives des Omeyyades sur le Maghreb. Ce prénom est encore vivant et notamment attesté au Maroc sous la forme de “Dami”.
Amghar : en amazigh, ce mot signifie le Chef, le Raïs ou Rays.., et ayant aussi le sens de : ce lui qui est a la tête de ..,.
Bien qu encore porté comme patronyme, il s’est fait muté a l’arabe sous la forme : “Cheikh”.
c’est le nom d’un célèbre personnage historique ; “Mohammad Amghar” le grand Sultan Saadien, appelé “Mohammed ech-Cheikh” par les historiens Arabes, et qui a délivré entre autre Agadir de l’emprise des Portugais.
“Amghar” est aussi le nom du Saint Marabout patron du lieu dit “Ttêtte n’Lfettre”, près de la ville d’El Jadida. En amazigh “Ttêtte” signifie l’œil et aussi la source d’eau. Il s’agit la de “Moulay Abdellah Amaghar n’Ttêtte”, dont un Moussem pour le vénérer se tient en été et en ce lieu même ; “Ttétte n’Fettre”, qui porte maintenant juste le prénom de “Moulay Abdellah”. Ce lieu rassemble a chaque Moussem plusieurs tribus de diverses régions du Maroc.
Ouda : Nous supposons que “Ouda” est une variante de “Touda” qui en Amazigh a le sens de la Suffisante, du verbe uda. “Touda”, et aussi “Ouda”, sont encore perpétués comme prénoms féminins dans le sud marocain principalement.
Dans son Roman Historique ; OUDA PRINCESSE MAROCAINE, Josée BALAGNA COUSTOU stipule que “Lalla Ouda” est le prénom de la Princesse marocaine, fille du maître de Taourirt de Ourzazate au 16ième sciècle, qui était surtout l’épouse de “Mohammad Amghar” le Maître de Taroudant et roi du Souss, et aussi la mère du Sultan Saadien “Ahmed EL MASOUR Eddahbi”.
J ai aussi rencontré dans un autre écrit, cette princesse désignée : “Lalla Mas ouda” !?!
S agit-il d’une arabisation de “Ouda” ou d’une berbérisation de “mas3ouda” ; prénom par quoi jadis se faisaient plutôt appeler les servantes et certes moins les princesses !?!
Kh nata : Ce prénom nous rappelle le nom d’une autre célèbre princesse marocaine du début du 18ième siècle ; “Lalla Kh nata Bent Bakkar”, qui était l’épouse de Moulay Ismaïl le Grand Sultan Alaouite. Elle a joué de grands rôles dans la politique du Maroc et elle a tenu de fortes relations diplomatiques avec les grand pays de l’Europe et du moyen Orient.
Un portrait de “Kh nata Bent Bakkar”, a été peint par une grande Artiste Espagnole. “Kh nata” mot arabe, auquel on donne le sens de “féminité extrêmement affirmée”.
Ce prénom est encore rencontré, sous sa forme masculin ; “Lakh nati” et porté plutôt comme patronyme ou sobriquet. Sauf ignorance, il semble que ce prénom ne se porte pas aux pays arabes du moyen Orient. Aussi, je ne lui ai pas trouvé encore de mot équivalent en amazigh. Question aux linguistiques !
Tachfine : Prénom du père du grand Sultan Almoravide : “Yousouf Ben Tachafine”, fondateur de Marrakech, mort en 1106. Littéralement, le mot signifie les Offerts qui dérive du verbe chef une variante amazigh de ffek ayant le sens de donner, et d’offrir, … On peut supposer que les prénoms “L ma3tty” et “L hiba”, assez répandus au Maroc, sont des variantes, en forme arabe de Tachfine. Une autre variante arabe “3attéyat” avec son singulier “3attéya”, de même sens, sont utilisés a l’est de l’Afrique du Nord et notamment en Egypte, mais s»rement moins plus loin que la. s’agit-il alors d’une mutation de Tachfine a l’arabe ?
Massinissa : prénom composé comme suit : “Mass-n sen”, dont la traduction littérale donnerait en français : leur seigneur et en arabe : “Sidhoum”, prénom que l’on rencontre encore chez les arabophones du Sahara aussi bien au sud marocain qu en Algérie ou encore en Mauritanie.
“Massinissa” est le nom d’un grand Roi Amazigh contemporain de l’époque Romaine, qui a créé un véritable état et unifie toute la Numidie. Allié aux Romains, il a participé a la dernière guerre punique qui voit la défaite de Carthage. c’est encore lui qui a lancé la devise : l’Afrique au Africains !
A propos du mot Afrique, des linguistiques montrent que ça dérive du mot “Ifri” singulier de Ifran, mot amazigh qui veut dire grottes ; c’étaient bien les premières habitations de certaines populations de Tamazgha, notamment en Tunisie qu on appelait jadis : “Ifriqiya”.
A suivre !
Michel Amengual / Abdelghani EL KHALDI – Oulad Haddou
Eljadida.com