En été, les jours de grande marée basse, la plage de Mazagan attirait comme un aimant notre groupe de moutchous a la recherche d’émotions. Nous guettions l’apparition des rochers entre la petite jetée et les ruines du casino. Une hotte en osier sur le dos, les pêcheurs a pied marocains arrivaient les premiers pour un « contre la montre » bien particulier. Leur arme secrète : un poulpe ligaturé a l’extrémité d’un bâton. Ils promenaient avec méthode, dans toutes les anfractuosités, le céphalopode moribond, lui imprimant un mouvement de va et vient simulant la vie. La technique était efficace. Rapidement un congénère, bien vivant celui la, lançait ses tentacules pour agripper et corriger l’intrus envahissant son territoire, a moins qu il ait naïvement imaginé qu il s’agissait d’une femelle peu farouche et provocatrice a la recherche d’un « ventousage » immédiat, voire plus si affinités ! Difficile d’interpréter la réelle nature de ce comportement animalier.
Le pêcheur, profitant de l’effet de surprise provoqué par son leurre, gaffait et extirpait efficacement le mollusque a l’aide d’un fer recourbé a une l’extrémité. Nous assistions ensuite a la séance traditionnelle « d’attendrissage » ; l’animal tenu fermement par la calotte était frappé bruyamment une dizaine de fois contre la roche par un mouvement rotatif, avant de rejoindre, définitivement calmé, le fond du panier. Ce subterfuge permettait également de capturer congre, murène et la récompense ultime : un homard.
Au fur et a mesure l’effet du reflux découvrait le sommet de plusieurs édifices en pierres appelés pechquerras. Ces murets en demi-lune, ouverts face a la plage formaient d’ingénieux pièges a poissons traditionnels de la région des Doukkala. Une façon intelligente de recycler les cailloux abondants dans les champs. La masse d’eau retenant toute une faune prisonnière, diminuait inexorablement par son exfiltration vers le large, a travers les espaces existants entre les pierres savamment superposées. Le moment de l’étale de marée basse arrivait enfin. Juchés en équilibre sur la muraille, les yeux écarquillés, nous repérions de drôles de poissons : les raies torpilles. Tapies dans le sable, a peine recouvertes d’eau, elles ressentaient soudainement notre présence menaçante. Elles se déplaçaient alors avec inquiétude dans tous les sens en tentant de trouver une sortie impossible pour le moment. La propulsion pataude de ce poisson plat cartilagineux en forme de violon, s’effectuait uniquement par un mouvement latéral de sa nageoire caudale arrondie. Cinq ocelles bleutés du diamètre d’une capsule de Crusch, décoraient une belle robe sans écailles, couleur ocre.
Dans la jungle marine, les différentes espèces réussissent a survivre grâce a toute une panoplie de stratégies : fuite, mimétisme, formation en banc, dard venimeux, mâchoire tranchante etc. La botte secrète de la torpille consistait en ses deux organes, capable de produire de redoutables décharges électriques. En traversant les rouleaux de la plage, lorsque nous marchions par mégarde sur ces étranges créatures, nous bondissions en hurlant après une bonne dose de 200 volts, sans risque pour notre santé. l’hallali sonnait, nous lancions sur ces cibles affolées une petite foène a trident achetée chez James, le marchand bien connu d’articles de chasse et pêche. Chaque pointe équipée d’un barbet retenait la proie. Nous ramenions notre victime sur le sable a l’aide d’une ficelle reliée a l’extrémité de la hampe. Ce cordage indispensable nous permettait d’échapper au courant électrique propagé par intermittence sur l’acier conducteur.
Aujourd hui, ce carnage inutile de poissons totalement immangeables nous choquerait. Dans les années cinquante, la conscience écologique n’existait pas, nous vivions près d’un océan que nous pensions inépuisable.
Pierrot LARUE Mazagan de 49 58
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