Ali Kadiri a longtemps travaillé avec Tayeb Saddiki et a été l’un des premiers managers du théâtre au Maroc, le premier a Masrah Ennas. Il a fait de nombreux métiers de «col blanc», mais est toujours revenu au théâtre, comme source d’approvisionnement et de ressourcement intellectuel.
Il a tout lu, dans le texte et a toujours choqué par ses postions courageuses, même quand cela dérangeait et rebutait. Il savait partir en claquant la porte ! Il a lu tous les grands du théâtre, leurs pièces et aussi leurs mots d’esprit, lui qui en a produit beaucoup, en s’inspirant de feu Saïd Saddiki, le seul avec lequel il se comprenait, bohémien et marginal, comme lui.
Il avait son idée du théâtre et aurait pu être « le jeune premier » de la scène, si le Maroc avait eu une industrie du spectacle, où la star s’impliquerait comme agent de l’économie symbolique.
Mais que faire quand les mots fuient les choses et vice versa, dans des duels où l’essentiel se fait ailleurs, pour vider la coquille du sens et la réduire a un jeu libidinal ?
Il a sorti un livre d’humour sur les humoristes et suscité le courroux de pas mal de monde, avant de s’enfermer dans un loco en béton.
Il a dirigé le théâtre d’El Jadida, après être passé par Casablanca et a été l’un des premiers initiateurs de la presse satirique avec Azizi Saïd Saddiki, notamment pour le «Joha», qui était devenu le journal diffusé par le «Khayatt Drouba», qui en usait comme prétexte pour recueillir la dernière perle. On vous en rappelle quelques unes, sur Driss Basri et d’autres encore, minutieusement serties par le «Tailleur des rues».
Ne pas faire semblant
Deux générations se rappellent encore cette vie artistique intense, le cinéma Rialto «complet» tous les soirs, toutes les places payantes : Invitations ? Inconnu au dictionnaire!
Si l’on devait «faire semblant» d’occulter une triste époque (1975 a 1999) durant laquelle un certain ministre de lIntérieur, de triste nom, s’était fait le champion, entre autres, d’organisateurs de spectacles lèche majesté, a coups de chaînes télés, de pressions sur gouverneurs et «élus», d’interdictions et de sélections (il adorait les Shikhates)
La première, ce fut l’évidente conviction du glissement vers une flatterie «hypocritement esthétisante ou bêtifiante», donc dérisoire et en décalage avec la réalité politique du pays.
La deuxième, c’est que tous les berrah (de rien du tout) se prenaient pour Machiavel et leurraient leur monde. Au prix où ils étaient payés, ils pouvaient même nous faire de la morale.
Pleurnicher sur le passé aide a calmer les maux de tête mais pas ceux du spectacle !
Notre pays vit dans un coma artistique inadmissible. Nos théâtres, construits a coup de milliards abritent plusieurs générations de rats bien dodus, rarement dérangés !
Ce n’est ni difficile, ni co»teux : le prix d’une page de publicité sur un journal peut couvrir le co»t d’une représentation théâtrale et permettre a près de mille de ce «cher peuple», d’y assister en famille. De plus, les salles peuvent être habillées aux couleurs de l’entreprise qui se dévoue et le public prédisposé a «recevoir» prospectus, dépliants brochures, etc.
A bon «entendeur» ces quelques mots et phrases pour que renaisse le Maroc intelligent qui sait lire, écrire, aller au théâtre et voter en masse.
Et voila, un grand qui nous quitte, sur la pointe des pieds, après une longue maladie et des souffrances en solitaire. Il a rendu l’âme, la où l’a précédé Saïd Saddiki, sous le même toit.
A son épouse, a sa fille et a la famille Saddiki, nous présentons nos condoléances les plus attristées.
Albayane.ma