La veille de son départ et avant de dormir, Jbilou rejoindra sa mère dans sa chambre, il lui a longuement embrassé la tête et les mains, tout en lui demandant de prier pour lui, lors de ses prières et avait même juré devant elle et en présence de ses deux frères, qu il serait a la hauteur de la confiance placée en lui. Vers minuit, il prend congé de sa mère et avec ses frères, ils se sont isolés dans leur chambre. Aidé par son frère cadet, Mokhtar entassa pêle-mêle quelques vêtements dans un sac et laissa d’autres a coté, pour les endosser au moment de son départ. Le lendemain tôt, il réveilla son frère Salah. Silencieux, ils sellèrent le mulet et prirent le chemin vers Crochet Blanco.
Crochet Blanco est l’appellation de l’embranchement de la route nationale 38, reliant Tanger a Tétouan et la nationale 37, reliant crochet Blanco a crochet Jilalia, menant vers Larache via Dar chaoui. c’est une bifurcation a mi-chemin entre les deux grandes villes du nord. c’est le point de ralliement des habitants des douars de la région qui désiraient se rendre dans ces deux métropoles.
Avant le départ de ses fils et dés, les premiers bruits Rahma s’est réveillée, mais elle faisait semblant de dormir. Elle restait clouée, sur son lit dans sa chambre. Elle pleurait a chaudes larmes sous sa couverture. Elle ne voulait guère que son fils, la voyait pleurer au moment de son départ. Quand tout bruit cessa, elle quitta son lit, ouvrira la porte du domicile, escalada une petite échelle adossé au mur et a travers la lumière de la lune, elle voyait ses deux fils qui s’éloignaient du douar a dos du mulet avant de disparaître derrière la maison du Hadj Zeroual, notable et membre communal, située dans l’autre bout du dchar. En descendant l’échelle, en tremblant, elle trébucha et chuta par terre, heureusement sans gravité. La paille qui jonchait les lieux a amorti le choc de son genou droit contre le sol.
En sanglots, comme une jeune gamine, elle rentra directement a la cuisine, où elle ralluma le feu pour chauffer l’eau nécessaire pour ses ablutions et le thé du ftour. Au moment où la théière chauffait, elle s’acquitta de la prière du fajre, puis prépara le petit déjeuner dans le vaste hall de sa demeure a la lumière d’une lampe a pétrole, avant de réveiller son fils Mohamed, en attendant le retour de Salah. Une première journée sans Mokhtar, vient d’être entamée. c’était un petit déjeuner comme toujours chez la petite famille de Rhimou. Il est composé du thé a la menthe, d’huile d’olive, du Jben, du pain cuit au four traditionnel et du bissara. Rhimou est passée maître dans la préparation du bissara a base de petits pois ou de fèves avec quelques branches de chou-fleur, elle préparait la quantité nécessaire d’une semaine en le gardant dans une jarre. Débarrassé de son eau, il devenait une sorte de patte, qui pourrait être servi durant plusieurs jours. Son fils Salah ne pouvait s’en passer de son bol. Chaque matin, il prend la quantité nécessaire, il y ajouta une cuillerée ou deux d’huile d’olive avant de le chauffer a feu réduit. Il adorait manger un bol, avec une tranche de pain avant de siroter un verre de thé a la menthe que Rhimou, sa mère préparait avec soins.
En quittant le douar, Mokhtar et Salah sillonnaient les sentiers sinueux et escarpés encore boueux, suite aux récentes pluies, dans une monotonie que seuls les montagnards supportaient. Ils étaient suivis de leur chien Milo . Durant leur train-train Mokhtar, prodiguait des conseils de prudence a son petit frère tout en le conseillant de prendre soin de sa mère et d’être toujours a l’écoute de son grand frère. Après environ deux heures de piste, ils arrivèrent a l’embranchement, non sans peine, Mokhtar prend congé de son frère et loin d’un groupe de gens, il s’assoit sur un monceau de foin, en s’adossant au mur d’un édicule, construit en pisé, jouxtant le café maure de Ba-Ahmed . Un café construit, en dure, composé d’une pièce d’une quinzaine de mètres de surface, une petite terrasse, où deux tables et cinq chaises en bois étaient occupées par cinq adolescents. Son chien, s’assoit prés de lui, refusant de rebrousser chemin avec son frère. Mokhtar ordonna a son chien de partir et suivre son frère, mais Milo refusait de s’exécuter. Il le laissa tranquille. l’animal vint prés de lui, en se tenant sur ses pattes postérieures et par sa langue léchait les pieds tendus de Jbilou en poussant des gémissements, son regard figé sur son maître.
-Il sait que je vais partir !! Soupira Mokhtar.
Milo, voyant que son maître, n’est pas disposé a repartir, il se jeta sur lui et s’accrocha a son cou en lui léchant, cette fois les épaules. Pour le calmer Mokhtar, lui caressa le dos, en le posant par terre. Le chien contempla longtemps son maître, s’éloigna quelques mètres, aboyait en remuant longuement sa queue. Il gémissait avant de partir a toute vitesse a travers les sentiers pour disparaître derrière les buissons, a la poursuite de Salah, son nouveau maître. Mokhtar seul dans son coin, une angoisse l’envahie, il suivait des yeux son petit frère qui s’éloignait, petit a petit derrière les collines. Il ne pouvait retenir ses larmes. c’était la première fois qu il pleurait, depuis la mort de son père, il y a environ cinq ans. Il errait dans des innombrables images de son vague avenir Des images qui défilaient dans son esprit, allant du beau au pire. Il pensa aux conseils de son père le soir de son agonie. Il pensa a sa mère. Il pensa a ses petits frères. Il imagina le jour de son retour avec des poches pleines de billets d’argent. Il pensa déja aux cadeaux qu il va offrir a sa mère, a ses frères. Il voyait les voisins accourus a sa rencontre. Les you-yous de sa mère et ses voisines se faisaient entendre de loin. Il divaguait tout en dessinant de bizarres dessins, sur le sol avec un roseau qu il tenait a sa main. Il errait jusqu au moment où l’arrivée d’une fourgonnette, une Volkswagen a échappement libre, qui mettra fin a ses divagations. Il s’est rendu compte qu il parlait tout seul. ( a suivre)