La compréhension de certaines us, coutumes, expressions et mots usités chez les Doukkala, c’est comme pour l’étymologie de beaucoup de nom de choses, de toponyme et d’anthroponymes rencontrés dans la Chaouia et dans toutes les autres régions du Maroc : ils ne peuvent être bien expliqués et appréhendés sans faire recours a la Langue et Culture Amazighs, et sans le retour a l’histoire et a la civilisation millénaire du Maghreb.
Le long d’une courte série périodique de bref papiers, j essayerais d’apporter a titre d’exemples quelques cas dont le commun des jeunes Doukkalais se demande assurément sur leur signification.
N° 3 – Toufri et Nouala
Dans ce troisième numéro je vais rappeler par quelques exemples l’origine Amazigh de certaines habitations typiques des Doukkala. Comme nous allons le voir, dans cette contrée se trouvent toujours des habitations dont l’appellation vient soit d’une racine Amazigh soit d’un mot berbérisé.
L’histoire montre que depuis l’arrivée des tribus arabes et jusqu a la fin du 19ième siècle, les habitants de cette région, comme ceux du Tamasna (ancien nom de la Chaouia), sont restés des agro-pasteurs et aussi des guerriers. Et lorsqu ils ne partaient pas dans des Harkas, ils se mouvaient avec leurs familles dans leurs fiefs conduisant leurs troupeaux suivant les saisons de pâturage en pâturage. c’est ainsi, qu ils n’avaient nul besoin de bâtir des logements fixes et en dure. Ces semi-nomades n’avaient vraiment commencé a construire des abris en dure et en masse, qu après leur sédentarisation forcée et imposée par l’Etat au début du 20ième siècle. Les Tazotats de la Houzia qui ne sont apparues qu après cette époque sont un cas témoin de ce changement de mode de vie.
Effectivement les chroniqueurs qui ont parcouru la région avant cette période, racontent que hormis les quelques villes/comptoirs et des kasbah, les seules bâtiments construits en pierres et/ou en terre sont les Zaouïa et les Mausolées, ainsi que des demeures des Caïds, qui sont souvent réduites en ruines a chaque changement de pouvoir local ou central. Les tribus vivaient plutôt regroupées dans des douars faits de Lkhyam, pluriel de Khaima, et/ou des Noualas, qu on montait et qu on démontait facilement a chaque besoin de changer de lieu ; soit de bon gré, soit sous contrainte.
Nouala
Ce nom vient du mot Anoual, qui en Amazigh désigne principalement une cabane ou une chambre spécialement aménagée et réservée pour la préparation des repas. c’est l’équivalent du mot français cuisine.
Dans la Chaouia et chez les Doukkala, c’est une cabane, de forme cylindro-conique, construite d’une ossature en roseaux et d’une couverture de paille, et qui sert aussi bien d’habitation qu a autres utilités.
Aujourd hui, ce genre de construction a pratiquement disparu. Les Noualas existaient jusqu a la fin des années soixante au alentour même de Casablanca pour ne pas dire dedans. A ces années la, il y avait encore des villages et des Bidonvilles composées de plusieurs Zribas, contenant jusqu a trois ou quatre Noualas.
Et dans l’histoire récente du Maroc nous avons la célèbre bataille d’Anoual, appelée aussi en Espagne le «désastre d’Anoual» et qui « opposa un contingent militaire espagnol a l’armée rifaine d’Adbelkrim Al Khattabi, dans la région du Rif en juillet 1921».
Tazota
Vient du mot Amazigh Tazoda, qui veut dire gros bol, ce qu on appelle aussi Zlfa ou Tazlaft, et qui désigne une soupière , ou encore un plateau a repas dit Gas3a, en arabe ! Ce mot Tazoda est encore usité au Rif pour désigner un bol. Et non loin de la, en Espagne Tazota signifie aussi une tasse.
c’est qu a Doukala, dans la Houzia et les Oulad Bou3ziz, il y a des édifices typiques et originaux, appelés aussi Tazota. De l’intérieur, ils sont effectivement en forme de bol renversé. Ce type de constructions en pierres chèches est unique au Maghreb. Aujourd hui ils servent encore comme dépôt et/ou écurie. Mais beaucoup moins que jadis pour l’habitation.
Maintenant, certains propriétaires de ces constructions procèdent volontairement a les détruire. Le mois dernier a un douar de Oulad Bou3ziz, j ai été témoin de la démolition d’une Tazota et de l’utilisation de ses pierres dans la construction d’un nouveau bâtiment, avec des briques et du béton, et qui s’intègre mal dans son environnement.
Ces édifices d’architecture rurale sont aujourd hui plus approchées et étudiées par des intéressés de tout bords. Ils sont le centre d’intérêt de plusieurs bonnes volontés. Des actions de sensibilisation et des appels s’élèvent pour les sauvegarder en tant que patrimoine régional d’architecture rurale. Mais ceci ne serait possible qu en trouvant a ces édifices d’autres utilisations comme l’initiative saluée d’une femme et son mari des Oulad Salem près d’Eljadida. Ce couple a transformé leur ferme contenant des Tazotas et des Noualas en un Gîte de repos chez l’habitant, offrant des produits bios et du terroir dans un cadre rustique et chargé du culturel. c’est une formule demandée de plus en plus par les citadins qui le week-end cherchent a fuir le stress et l’encombrement des grandes villes.
Les Tazotas des Doukala méritent aussi d’être plus considérées par les pouvoirs publics.
Enfin, Tazota, est aussi le toponyme d’un bled amazighophone dans le Moyen Atlas près Sefrou.
Laazib, ou 3zib, ce mot aussi largement utilisé par les amazighophones des Atlas et du Rif, est au fait une berbérisation et une mutation du signifiant de l’Amazigh a l’arabe, et qui dérive de la racine arabe 3azaba.
En effet 3zib vient du verbe i3azzeb, une berbérisation du verbe arabe précédemment cité, et qu on peut expliquer en français par : Vivre en célibataire. Sauf par ignorance de ma part, le mot, 3zib, n’existe pas dans les lexiques de l’arabe classique.
A Doukkala, comme partout au Maroc, ce mot désignait plutôt un abri pour les bergers et leurs troupeaux.
A l’origine ce mot 3zib signifiait le lieu où les bergers vivaient avec leurs troupeaux, dans les vallées ou près des Oueds pendant une bonne période de l’année, loin de leur tribu sans femmes ni enfants.
Toufri
Nom d’origine Amazigh composé de Touf : féminin de Youf : préfixe qui veut dire meilleur et de Ifri, qui dignifie une grotte et/ou une cavité souterraine. Ainsi, mot a mot, en français Toufri voudrait dire : Meilleur Grotte.
Dans les Doukala, le Toufri est une grande cavité assez profonde. On y accède a travers une porte et des escaliers pratiqués sous un abri en pierre sèche. Ce genre d’édifices est généralement creusé sous les champs dans un endroit élevé et stratégiquement bien placé. Aujourd hui a Doukkala, le Toufri sert encore de dépôt de grains et de foin.
Autre fois ça servait aussi de cachette de bétails et même pour l’habitation.
A ce propos, nous avons aussi comme toponyme de plusieurs lieux le nom Ifrane, qui n’est que le pluriel amazigh de Ifri. De ce dernier mot vient aussi le nom de notre continent l’Afrique = Ifriquia, nom par lequel les historiens arabes appelaient aussi l’actuelle Tunisie où l’habitat dans des grottes se pratique encore. Cette appellation de l’Afrique nous vient du fait que nos anciens ancêtres habitaient dans des grottes, naturelles ou qu ils creusaient spécialement pour ce besoin. Comme ces habitations, en grottes creusées dans les falaises ou des cavités dans le sol, existent encore au Maghreb.
Effectivement, en plus de la Tunisie, et a titre d’exemple, il y a au Maroc des endroits où il existe des habitations comme ceux-la. On les rencontre précisément au Moyen Atlas et tout près de la ville d’Ifrane pour ne citer que ce lieu.
Et je ne vais pas terminer ce numéro sans évoquer la typique tente bédouine appelée Khayma, qui était certainement la plus répondue des logements traditionnels des Doukkala. Ce mot arabe Khayma reste tellement nostalgique dans la culture des Doukkalis a tel point qu il est encore usité pour désigner aujourd hui la maison ou la demeure familiale même si celle-ci est construite en pierres dure ou en brique et béton.
Nous retrouvons aussi ce mot Khayma, berbérisé en Akham, chez les amazighophones comme synonyme de Tigmi, qui veut dire maison en Tachlhit. Au bleds des Zayan et des Zemour, territoires non loin de la Tamesna, ce mot Akham, signifie effectivement la même chose que chez les Doukkala : la maison, comme aussi chez les Kabiles et les M zabe d’Algérie. Si je veux dire quelques choses par la, c’est rappeler que les mutations et les empreints entre nous deux langues nationales, l’Arabe et l’Amazigh, se sont faits dans le deux sens, a travers des siècles et dans tout le Maghreb, par les interactions socioculturels. Et ceci constitue une diversité culturelle, une distinction, et une riche particularité que nous avons a préserver, a sauvegarder, a perpétuer et a valoriser.
A suivre…
Abdelghani EL KHALDI
Eljadida.com