Dans la presse marocaine la nouvelle est passée presque inaperçue : cette année le prix Nobel 2006 de Littérature a été décerné au romancier turc ORHAN PAMUK, écrivain encore jeune mais très fécond.
Cette consécration est venue primer un écrivain issu du monde Musulman, dix huit ans après le sacre de l’écrivain égyptien NAGUIB MAHFOUD.
Le contexte politique et culturel de cette nomination en dit long sur les visées des académiciens suédois pour ne pas dire occidentaux, soucieux de faire parler les « lettres persanes » ouvertes sur la modernité, donner la parole aux mythologies soufies concoctées dans un style contemporain et/ou renouer avec le dialogue Occident Orient, thème de prédilection de l’œuvre romanesque de l’écrivain turc.
ORHAN PAMUK est né le 7 juin 1952 a ISTAMBUL dans une famille assez Bohême. Il a rêvé d’être peintre : a 16 ans il s’essayait a la miniature persane et ses peintres favoris étaient UTRILLO et PISSARRO, « je voulais avoir leur yeux pour peindre les rues d’Istanbul »dit-il.
Puis il se jette sur les classiques a un âge où on ouvre les yeux sur le monde des filles .Il intègre l’Institut de journalisme de l’Université d’Istanbul d’où il ressort diplômé. Ensuite il part a New York où il simprègne de la culture américaine durant 3 ans.
Il déclare a propos de ses écrits :
« Chacun de mes livres est né d’idées volées sans honte aux expérimentations du roman occidental et mélangées avec les contes de la tradition islamique. Du contact de ces deux styles dangereusement assemblés naît une étincelle violente éclectique, dadaïste .Ce mélange, cette contradiction sont ceux de la Turquie tout entière : d’un côté, une classe dirigeante,aisée, infime,tournée davantage vers l’Europe,et de l’autre,une population pauvre,traditionaliste,presque médiévale .Dans tous mes livres,cette dichotomie de l’est et l’ouest est présente .Et ce sera pour moi l’œuvre d’une vie que d’arpenter les multiples sentiers idéologiques et symboliques de cette contradiction ».
Son père dépense sans compter la fortune familiale en vivant de ses rentes. Francophile et traducteur de Paul VALERY, il exhibait avec fierté sa bibliothèque contenant l’entière collection blanche de Gallimard et adule l’auteur de « l’être et le néant »comme un dieu vivant.
PAMUK dit : « Quand j étais enfant,on me disait que la religion était faite pour les pauvres.Nous vivions dans un immeuble ou chaque appartement était occupé par un oncle,une tante,un membre de la famille. La porte de l’immeuble était fermée mais a l’intérieur tous les appartements étaient ouverts .Donc j allais de l’un a l’autre. Ma grand-mère qui préparait le dîner,criait dans l’escalier que le repas était prêt et tout le monde montait manger chez elle,une existence a mi chemin entre l’ancien mode de vie des grandes familles ottomanes et le cercle plus intime des existences modernes ».
PAMUK est connu dans son pays comme un auteur contestataire bien qu il se considère d’abord comme écrivain littéraire sans intentions politiques. Il fut le premier écrivain musulman a condamner ouvertement la fatwa contre SALMAN RUSHDIE .Il a également défendu son confrère turc YAAR KEMAL, poursuivi en 1995 avant d’être lui-même inculpé pour avoir invoqué dans un entretien a un journal suisse la massacre de centaines de milliers d’arméniens durant la première guerre mondiale et les affrontements plus récents avec les rebelles Kurdes dans le sud est anatolien :
« Trente milles kurdes et un million d’Arméniens ont été tués sur ces terres et personne d’autre que moi n’ose en parler » avait-il notamment déclaré dans cette interview. En janvier 2006 la justice turque a décidé sous la pression internationale d’abandonner définitivement les charges qui pesaient contre PAMUK, mettant fin a un procès qui avait révolté les occidentaux et soulevé la question de l’engagement de la Turquie dans la voie de la liberté d’expression.
L’expérience vécue par le nouveau prix Nobel de littérature nous rappelle dans une certaine mesure la réaction de rejet manifestée par la communauté marocaine lors de la parution du roman de DRISS CHRAIBI « le passé simple » en 1954 quand celui ci s’aventurait dans la critique acerbe a l’adresse du système patriarcal traditionnel. l’écrivain mazaganais d»t patienter jusqu en 1968 pour être réhabilité par la revue Souffles.
La maison d’édition d’ORHAN PAMUK en Turquie a affirmé début octobre avoir reçu un flot de commandes impressionnant pour les livres du romancier depuis qu il a été récompensé du prix Nobel.
Il habite a nouveau la maison ou il a grandi et où personne, vraiment, mis a part lui, ne rêvait de cet avenir la .Père d’une adolescente, il est divorcé .Il empochera pour le prix Nobel la coquette somme de 1,1 millions d’euros
Romans d’ORHAN PAMUK, traduits en français:
La maison du silence – Gallimard – 1988
Le livre noir – Gallimard – 1994
Le château blanc – Gallimard – 1996
La vie nouvelle – Gallimard – 1998
Mon nom est rouge – Gallimard – 2001
Neige – Gallimard – 2005
Tarik BOUBIYA – El jadida