Portrait d’artistes (4) Mustapha El Ansari : Des écorces de soleil déposées sur ses toiles!

Mostefa El Ansari exposant dans la galerie Chaïbia, a l’intérieur de la Cité portugaise, c’est tout un symbole : Parce qu il a grandi a l’intérieur des remparts de cette Cité, parce que c’est la qu il s’est forgé, tout jeune, une âme d’artiste et parce que c’est ici que l’enfant prodige revient aujourd hui, quelques 50 ans après, pour fixer ses derniers éclats de soleil sur les murs d’une galerie dont les vo»tes majestueuses résistent depuis des siècles au temps qui passe. Et puis, n’ayons pas peur des mots, ni des comparaisons : Si la Cité portugaise fait partie du Patrimoine mondial de l’Humanité, Mustapha El Ansari , lui, fait partie du patrimoine de la Cité. Et des Doukkala.

Il avait réuni, ce jour-la, avec un autre maître de la peinture marocaine, lui aussi originaire d’El Jadida, Lahbib M Seffer, quelques amis, nombreux, pour des retrouvailles autour d’une exposition intitulée : « Nostalgie » ! Comme s’il regrettait ses jeunes années passées dans les ruelles de la Cité qu il a peintes a son rêve, avec ses murs fauves ou roses, entre minaret, église et synagogue de son enfance, où musulmans, chrétiens et juifs se côtoyaient dans la plus grande convivialité. Mais c’était l’époque, dit-il aussi avec regret .et amertume, où « El Jadida était la ville intellectuelle, où de prestigieuses manifestations culturelles étaient organisées, où les choses de l’esprit étaient prises en considération ». Sur ce plan la, c’est s»r, affirme-t-il, El Jadida a changé. Comme si elle avait perdu sa côte ! On en apprécie encore mieux ce genre de manifestation où le talent côtoie l’amitié, où l’échange garde sa noblesse, où les différences ressemblent a la vertu.

Nous avons côtoyé ensemble ses cimaises, nous avons longé ensemble la mer, et dans ses réflexions sur l’art, il me semblait grave et pourtant désinvolte,- ou rassuré !- habitué qu il est a vouloir être lui-même, sans concession. « Nostalgie » Souvenirs ! Souvenirs ! Accompagnés d’une lointaine musique de jazzEt nos pas nous ont menés d’abord sur les chemins qui l’ont conduit a l’art :

« Je crois que dès ma plus tendre enfance, j avais une tendance marquée pour les arts : Je me souviens avoir gagné, en 1955, alors que je n’avais que 10 ans, le premier prix du grand concours de construction de château de sable organisé,sur la plage d’El Jadida, par le journal Le Figaro. c’étaient la les prémices d’une tendance artistique et d’un go»t pour l’art.

« Dans les années 58, je suis monté a Casa pour faire des études techniques ; j ai fait du dessin industriel et j y excellais. Puis, par la force des choses, j ai été recruté par les services de la Météo nationale, et la, je me suis aperçu que la météo, c’est certes une science, mais si on la pratique bien, c’est aussi un art. Et les cartes météo que je traçais relevaient de l’art ; car quand on élaborait ces cartes pour les pilotes, il fallait qu elles soient aussi parfaites que possible pour que le pilote ait confiance en vous.

Donc, j ai vite senti que je pouvais m adonner au dessin et a la peinture, et j ai commencé par reproduire des tableaux de Goya et de Gauguin dont j aimais l’harmonie des couleurs ; et j avais plaisir a en offrir a mes amis. En 1977, j ai rencontré a Casablanca un journaliste koweitien venu couvrir les premières élections du Maroc ; et l’article qu il rédigea pour son journal était intitulé : « La guerre des couleurs dans les élections marocaines » ; car chaque parti qui se présentait avait des bulletins de couleur différente. Le journaliste me proposa d’enrichir son article par des tableaux. Puis en 1986, je me suis mis a faire un bilan de moi-même et mon auto critique, et je me suis posé la question : Que vais-je devenir quand je serai a la retraite. Certes, fonctionnaire de l’état, j avais une retraite assurée ; mais cela ne me donnait pas une occupation. Donc, j ai décidé d’affiner ma manière de peindre. En 1989, une manifestation avait été organisée a Rabat a l’occasion de l’anniversaire de la fondation des œuvres sociales du Ministère des Travaux Publics auquel j étais rattaché ; quelques amis m ont proposé d’y exposer quelques peintures, aux côtés de deux autres peintres marocains. Et la plupart de mes tableaux ont été vendusCela m a incité a persévérer ; puis, par la suite, une journaliste française, qui travaillait a Toulouse, m a convaincu a son tour d’exposer. Cela a été un point de départ d’une longue série d’expositions au Maroc comme a l’étranger

Mais pourquoi avoir choisi la peinture comme moyen d’expression, et non pas l’écriture, la musique, la politique, ?

« Après mon bac, je devais partir pour Paris et m orienter vers les Arts et Métiers et faire du cinéma; mais cela n’a pu se réaliser. La politique, j en ai fait tout en n’en faisant pas : j ai été un grand militant ; mais j ai préféré travailler avec mes doigts, car Dieu nous a donné des doigts pour mieux valoriser nos mains, et c’est dans la peinture que je trouve cette valorisation.

Quel sens justement, donnez-vous au mot « peinture » ?

« La peinture, pour moi, est devenue une thérapie. c’est certes un art, mais c’est plus qu un art : c’est une échappatoire. Quand je peins, je vis dans une bulle a moi ; certes, j ai une vie familiale, j ai des enfants que je crois avoir bien élevés ; mais la peinture est devenue une nécessité.

Est-ce que, pour vous, la peinture c’est le reflet de l’âme ( la vôtre ?), ou d’une époque ? Une façon d’exprimer l’inexprimable ?

« Je cherche surtout a exprimer le temps réel ; mais la peinture est plus que ça ; elle m est devenue non seulement une nécessité mais aussi un refuge, car j ai besoin d’isolement, et devant une toile, je trouve cette intimité avec moi-même.

Est-ce que la peinture est aussi une façon de se mettre a nu ? Y a-t-il derrière vos tableaux, une façon de se protéger, et contre quoi ? Une partie muette, indicible, invisible de vous-même ? Un secret dont il faut avoir la clé pour y pénétrer ?

« Non, il n’y a pas de secret. Je pense que certains de mes tableaux reflètent ma vie personnelle, certaines phases de ma vie ; d’autres expriment le comportement de l’homme ou de la société ; dans tel tableau, je peux y voir différents sentiments : la jalousie, le déclin, les mauvais coups, l’amour, le rejet, la haine, la solidarité, la peur. Un tableau est une projection de mon âme ; j y exprime ce que j ai sur le cœur.

Est-ce que le peintre est un rebelle ? Ou un complice ?

« l’artiste est d’abord un être humain, et tout le monde est artiste, chacun a sa manière !

Qu attendez-vous du regard de l’autre ?

« J attends qu il me pose des questions. J aime bien quand les gens m interrogent et ce que je recherche le plus dans une exposition, c’est l’avis des autres.

Qu avez-vous besoin autour de vous pour être dans la meilleure des conditions pour aborder une toile : du silence, de la musique, le bruit de la rue ?

« d’abord, une belle musique. Moi j adore le blues, et le silence

Et si vous n’aviez-vous qu une seule couleur a votre disposition, quelle serait-elle et qu en feriez-vous ?

« Le bleu. J adore le bleu.

Et vous feriez la mer ou le ciel ?

Je ferai la terre.

La terre vue du ciel ?

« Une terre bleue.

Et si vous n’aviez a dessiner qu une ligne, ce serait quoi, une ligne droite, une courbe ?

« Un cercle.

Pourquoi ?

« Je suis très impressionné par la culture asiatique, la culture zen, boudhiste. Le cercle est limité ; la terre est ronde, l’être humain naît dans un ventre qui a une forme circulaire.
Et puis dans le cercle, il y a le centre. Il y a toujours une force centrifuge qui vous ramène vers le centre. c’est le cosmos. Vous prenez un avion, vous ferez le tour du monde mais vous reviendrez toujours a votre base de départ. Le cercle, ce n’est pas le zéro, c’est la vie.

Est-ce qu il y a une part de jdidi dans votre peinture ?

« Cela fait 50 ans que je vis a Casablanca, je n’ai pas un seul ami casablancais. Tous mes amis sont d’El Jadida. Je suis jdidi avant tout.

Et vous avez peint la Cité portugaise !

« Oui, c’est normal, c’était mon quartier mais je l’ai peinte a ma façon, avec des murs roses, mauves, le minaret orange

Quels souvenirs avez-vous gardés de ce quartier ?

« Un souvenir familial et amical. J habitais le mellah, a l’intérieur de la cité où il y avait une ambiance extraordinaire ; toutes races et religions s’y côtoyaient de la façon la plus conviviale.

El Jadida est en pleine mutation. Comment la voyez-vous ?

« Sur le plan économique, il y a d’importants changements, qui me paraissent positifs, mais il y a eu un désintéressement total de la part des autorités provinciales ou municipales sur le plan culturel. Je me souviens que dans les années 70, El Jadida était la ville intellectuelle par excellence. Elle a donné toute une pléiade de grands artistes, de grands écrivains, des théologiens, des historiens, des philosophes, et aussi de hauts cadres politiques, je ne citerais pas Chaïbia, Driss Chraibi, Abdelkader Khatibi, Abdallah Laraoui, mais plus avant, Abou Chaouaib Doukkali, et tant d’autres Il y a des festivals a Marrakech, a Essaouira, dans de nombreuses villes marocaines. Ici, on se contente d’organiser un moussem et de nous montrer des chevaux !

Et si l’idée venait d’organiser a El Jadida une manifestation, avec expositions, conférences, débats, rencontres, animations diverses, autour et avec toutes les sommités du monde des Arts, des Lettres et des Sciences, originaires des Doukkala ?

« Ce serait certainement un grand jour ! Plaise a Dieu que cela se réalise. El Jadida retrouverait son éclat d’antanEt peut-être, cela serait le signal d’un nouveau départ, d’une renaissance !

Pour prendre contact avec Mostafa El Ansari :
Gsm : 212/061.19.48.64
E-Mail : [email protected]
Web : mostafa_elansari.ifrance.com

Michel Amengual
Eljadida.com

Auteur/autrice