Information de dernière minute : La première édition du Forum Social Maghrébin se tient du 25 au 27 juillet a l’Université Bouchaib Doukkali a El Jadida sous le thème : “Vers un Maghreb des Peuples et Pour un Monde Meilleur . Cette édition se prépare dans un climat de tempête sociale qui souffle actuellement sur la région.
Informations et participation
Pour participer prière de remplir la fiche d’inscription selon votre statut d’individu ou organisation, et nous la renvoyer:
– Par internet sur le site http://www.fsmaghreb.org
– Par Fax : (00 212) 37 20 22 93
Participants nationaux
Khalid Chahid : Tel : 061 90 88 24 / Mail : [email protected]
« Participants internationaux »
Souad Ajdaini : Tel : 00 212 78 65 05 12 / Mail : [email protected]
Nous insérons sur ELjadida.com les propos de Mr Driss El Korchi (administrateur de Naoura et membre du comité de suivi du Forum Social Maghrébin) interviewé par Le Croco qui nous y explique les enjeux dans ce contexte.
Le Croco : Ces derniers mois, les émeutes et les manifestations se multiplient en Tunisie, au Maroc et en Algérie. Que se passe-t-il ?
Driss El Korchi : En fait, ce sont différentes choses qui se passent parallèlement et ces phénomènes ne sont pas neufs. En Algérie, ils sont récurrents depuis plusieurs années. Au Maroc, cela fait un moment, par exemple, que les jeunes diplômés organisent régulièrement des sittings devant le Parlement ou les bâtiments des autorités publiques. En Tunisie, le mouvement de grève entamé dans les mines de Gafsa depuis plusieurs mois a débouché sur de violents affrontements avec les forces de l’ordre.
Un mouvement contre la cherté de la vie, impulsé par les bases des syndicats, les associations de proximité et les organisations de Défense des Droits Humains, s’est développé un peu partout dans les pays du Maghreb car les populations sont de plus en plus touchées par la pauvreté dans des sociétés polarisées, tant économiquement que socialement. La société maghrébine se caractérise en effet par de très grands écarts de richesse entre pauvres et riches. Ces dernières années, le phénomène s’est accentué et l’augmentation du co»t de la vie se traduit dans les produits de première nécessité : le pain, l’huile, le sucre, etc. Sans compter le contexte actuel mondial de crise alimentaire et le prix croissant du carburant La classe moyenne et les pauvres rencontrent donc de plus en plus de difficultés a nouer les deux bouts, même lorsque les gens ont un travail régulier. Sans parler de l’enseignement et de la santé, deux piliers négligés et dans un état déplorable.
Comment, par exemple, peut-on s’imaginer que plus de cinquante ans après l’indépendance, il y ait encore plus de 40% d’analphabétisme au Maroc ? Dans les campagnes, c’est plus grave encore. Dans ces conditions, les classes populaires ne voient plus de perspective d’avenir dans leur pays et ceci est particulièrement marquant pour les jeunes. Même si des différences importantes existent entre les pays du Maghreb (par exemple, la pauvreté est bien plus marquée en Mauritanie que chez ses voisins), toutes les populations du Maghreb ressentent la crise de manière aigu, alors que les gouvernants se plient tous aux diktats du capital mondial et refusent de remplir les revendications légitimes et minimales de leurs peuples a une vie digne dans un Maghreb uni, et offrant a ses citoyennes et citoyens un espace de justice sociale et de libértés démocratiques.
Le Croco : Quel rôle peut jouer le Forum Social Maghrébin dans ce contexte et étant donné le type de régime politique qui caractérise la plupart des pays du Maghreb ?
Le Forum Social Maghrébin a plusieurs finalités. Il rentre tout d’abord dans la démarche du Forum Social Mondial, a savoir le combat contre les inégalités, la mondialisation néo-libérale, la lutte contre toutes les formes d’impérialismes et contre les systèmes antidémocratiques. Comme le Forum Social Mondial, le Forum Social Maghrébin se caractérise par sa pluralité et par sa diversité. Le FSMaghrébin n’est ni confessionnel, ni gouvernemental, ni partisan. Il aspire a faciliter l’articulation, décentralisée et en réseau, d’associations et de mouvements engagés, tant au niveau local que maghrébin, en vue de la construction d’un Maghreb des Peuples. Il vise a renforcer les dynamiques progressistes dans le Maghreb et a encourager les libertés démocratiques. Il se veut un espace de rencontre entre toutes les dynamiques sociales maghrébines. Le Maghreb constitue un espace fragmenté, a l’intérieur duquel il y a de « vraies » frontières, dont certaines ne peuvent pas être traversées légalement. c’est notamment le cas pour la frontière terrestre entre le Maroc et l’Algérie. Les dynamiques sociales dans ces pays présentent beaucoup de similitudes et de points communs. Malheureusement elles ne disposent pas, jusqu a présent, d’un espace pour se rencontrer et mener des actions communes. c’est le cas des organisations syndicales (et particulièrement les syndicats autonomes) ou des organisations de défense des Droits Humains ou encore des réseaux d’associations qui se battent contre la cherté de la vie et contre la détérioration des services publics. Ces luttes existent donc au plan local, voire national, mais pas encore au plan régional : un des buts du FSMaghrébin est de permettre la convergence de toutes ces luttes au niveau maghrébin. Les approches et les sensibilités des progressistes algériens, marocains, tunisiens, mauritaniens et sahraouis, par rapport au contexte socio-politique, sont assez similaires. s’il existe des différences d’un pays a l’autre, c’est plus au niveau de la forme que du fond. La prédominance de régimes policiers donne lieu au même genre de pratiques, quel que soit l’endroit où l’on se trouve au Maghreb. Par rapport au contexte sociopolitique actuel, le FSMaghrébin est un espace de renforcement des luttes sociales et aussi un espace où toutes les questions, même celles qui fâchent le plus, peuvent être abordées et exprimées. Son rôle est de pouvoir garantir et de permettre a toutes les composantes maghrébines, quelles que soient leurs opinions et a condition qu elles respectent la Charte de Porto Alegre, d’avoir leur place au sein des débats. Le FSMaghrébin est toujours en gestation : en effet, nous n’avons eu, jusqu a présent, que des rencontres préparatoires (Bouznika en janvier 2006, journée maghrébine de mobilisation en janvier 2008), mais il a déja a son actif quelques belles avancées qui se concrétisent dans l’action quotidienne. Nous avons, entre autres, la mise en place de la coordination maghrébine des Droits Humains, la mise en place d’une coordination des syndicats, sans oublier les réseaux, les alliances et les organisations transversales des divers acteurs sociaux inter-maghrébins qui, progressivement, se structurent. A cela il faut ajouter que le cadre du FSMaghrébin est, pour l’instant, le seul espace où toutes les sensibilités concernant le Sahara Occidental sont présentes et où elles débattent, quelquefois de manière passionnelle il est vrai, pour une solution pacifique au conflit. Pour fédérer les actions, nous travaillons tous a l’écriture d’une Charte des Citoyens du Maghreb pour l’édification d’un autre Maghreb, un Maghreb des Peuples. Les principes fondateurs de cette charte ont été dégagés lors des journées maghrébines de mobilisation de janvier 2008. Nous espérons sortir du premier FSMaghrébin avec cette charte.
Le Croco : Comment les autorités voient-elles la tenue du Forum ?
Le Forum, qui se veut un rassemblement de forces progressistes qui adhèrent a la Charte de Porto Alegre, se situe évidemment en porte a faux par rapport aux régimes politiques de nos pays, qui sont loin de pouvoir être qualifiés de « démocratiques ». Il est clair que les « alter-maghrébins » ne sont pas toujours les bienvenus car ils peuvent être considérés comme des « subversifs ». Des restrictions aux actions/réunions du Forum Social Maghrébin ont été imposées dans plusieurs pays. Ainsi, nous n’avons pas pu tenir le premier FSMaghrébin a Nouakchott en janvier 2008 comme il l’avait été initialement prévu car les autorités mauritaniennes l’ont interdit de manière totalement arbitraire. En Tunisie, toutes les rencontres du Comité de suivi du FSMaghrébin ont été « encadrées » par des hordes de policiers, souvent en civil, qui faisaient le maximum afin de nous empêcher de nous réunir. Lors de la rencontre de mars 2006, tout le quartier où se trouve le local de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme était inaccessible. En Algérie, plusieurs rencontres du Forum Social Algérien ont été interdites. En ce qui concerne le Maroc, où se tiendra finalement le premier FSMaghrébin (a El Jadida) et où se sont tenues les rencontres préparatoires de Bouznika (janvier 2006), nous bénéficions jusqu a présent d’une certaine marge que nous devons renforcer et rendre durable !
Le Croco : Les Marocains de l’extérieur ont-ils un rôle spécifique a jouer par rapport aux enjeux du Forum et, plus largement, par rapport a la situation actuelle de la région ?
On ne devrait pas parler de Marocains ou d’Algériens, mais de Maghrébins, ou plus généralement, de personnes, de démocrates, qui se sentent concernés par la situation du Maghreb. Le Forum est ouvert a tous. c’est clair qu il rassemblera essentiellement des Maghrébins, mais son espace n’est pas limité a ces derniers. Les Maghrébins de l’extérieur n’ont pas un rôle spécifique a jouer. Ils ont une place en tant que Maghrébins tout court, mais aussi comme citoyens des deux rives de la Méditerranée dans la construction du Maghreb. Le fait qu ils se trouvent dans l’immigration leur permet d’amener une dimension maghrébine. Car lorsqu on discute localement, on ne se situe pas entre Marocains ou Tunisiens, mais bien entre Maghrébins. Cependant, il est vrai qu a partir des pays d’immigration, il est possible d’agir sur certains plans. Par exemple, la dynamique tunisienne et maghrébine en France a fortement contribué a la dénonciation de la répression des mineurs tunisiens. De même, durant les années de plomb de la dictature au Maroc, il était plus facile de rompre le silence et de se mobiliser contre le régime a l’extérieur. Nous n’allons pas au Forum pour y apporter quelque chose de particulier. Nous n’apportons pas une nouvelle vision des choses, ni une expertise, ni des compétences. Les réflexions sont très développées sur place. Simplement, les questions se posent différemment. Par exemple, sur la question de la laïcité, les contextes, les sociétés influent évidemment sur les sensibilités. Au niveau du Maghreb, les approches des intellectuels sont quelquefois beaucoup plus laïcisantes que dans l’immigration présente en Europe.
Le Croco : Dans une culture souvent qualifiée de machiste, y compris par les femmes maghrébines elles-mêmes, quel espace y a-t-il pour les femmes dans cette dynamique ?
Tout d’abord, dans les luttes sociales, et certainement dans le cadre du FSMaghrébin, les militantes maghrébines n’ont pas attendu qu on leur « octroie un espace » : elles sont souvent les plus combatives ! Mais pour revenir a la question, on devrait éviter de fragmenter l’espace du Forum en sous-espaces spécifiques car les problèmes qui touchent, soit les femmes, soit les jeunes, soit certaines minorités, touchent de manière directe ou indirecte l’ensemble des citoyens. Par contre, au Maghreb, nous ne vivons pas seulement dans une société « machiste », mais dans une société où certaines inégalités entre hommes et femmes sont « légales » au sens juridique du terme. c’est donc un combat que nous devons tous mener pour éliminer de telles aberrations. Le Forum est celui de tous les Maghrébins. Il est clair que certaines questions préoccupent plus particulièrement les femmes, mais ces questions sur le fond ne concernent pas que les féministes. Elles intéressent tout démocrate, tout défenseur des Doits Humains. Cela dit, l’espace du Forum est dans l’ensemble un espace très mixte. Dans les assemblées préparatoires, on ne voit pas un atelier où il n’y a pas une présence féminine très active. Cela reflète une réalité de la vie associative maghrébine : que ce soit dans les organisations syndicales ou dans les organisations de Défense des Droits Humains ou dans les réseaux des associations de proximité, on retrouve une présence féminine très dynamique. Sans oublier les mouvements de jeunes où la parité entre garçons et filles est naturelle. Au sens méthodologique, cette question, qui est toujours en discussion, concerne la façon dont on peut lier les questions particulières aux questions transversales et comment mettre en place des synergies. De manière générale, il est nécessaire de créer des liens entre les différents réseaux. Les dynamiques féministes doivent pouvoir s’intégrer aux dynamiques syndicales, aux dynamiques des Droits de l’Homme (d ailleurs, au Maghreb, on parle de « Droits Humains »). Par exemple, au niveau syndical, la question des salaires est très importante pour les femmes maghrébines : les salaires des femmes sont beaucoup plus bas que ceux des hommes pour des emplois aussi pénibles, voire plus pénibles.
Le Croco : Il est également question d’organiser une caravane des Maghrébins pour la libre circulation. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?
Pour l’instant, il s’agit encore d’une proposition d’action, car il faut encore voir concrètement quelle sera sa faisabilité. l’une des revendications portées par les différentes composantes du FSMaghrébin est l’ouverture des frontières entre les pays du Maghreb et la libre circulation des personnes. Actuellement, elles sont officiellement fermées pour les citoyens, et pour la circulation des marchandises. Dans la réalité, elles sont extrêmement poreuses. Et cela favorise surtout l’illégalité, la contrebande et les trafics mafieux de tout type. Pourtant, face au Maghreb des Peuples, il existe l’Union des Maghreb Arabes (une espèce de « Maghreb des gouvernements »), qui pourrait jouer un rôle dans l’intégration, ne f»t-ce qu économique, des pays du Maghreb, mais des divergences politiques et surtout les intérêts particuliers de chacun des régimes font qu actuellement cette instance ne fonctionne pas du tout. Pour revenir a la frontière terrestre entre le Maroc et l’Algérie, elle est fermée depuis 1994 ; depuis plus de quatorze ans, les citoyens ne peuvent pas circuler alors que les autorités des deux pays ne font rien pour résoudre ce problème. l’absurdité de la situation est que, si actuellement, un Marocain – un Algérien – souhaite se rendre en Algérie – au Maroc – en toute légalité, il peut le faire (sans visa), mais il doit s’y rendre en avion, pas par voie terrestre (même s’il habite a un kilomètre de la frontière) ! A l’occasion du Forum Social Maghrébin, l’idée serait donc de former une caravane au départ d’El Jadida ou de Casablanca, qui parcourrait en bus les quelque huit cents kilomètres qui séparent ces villes de la frontière algérienne, jusqu a Oujda, où elle retrouverait une caravane de camarades algériens venus a sa rencontre de l’autre côté de la frontière. Ce serait donc la un évènement assez symbolique organisé pour revendiquer l’abolition des frontières entre pays du Maghreb. La libre circulation des personnes est en effet une condition sine qua non pour la constitution effective d’un Maghreb des Peuples.
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