Réflexions sur les Approches Par les Compétences

(Le présent article a fait l’objet d’un exposé en 2005 déja. Le retour de cette approche a l’actualité dans les programmes de formations engagées par le MEN nous incite a le publier sur le site.)

Le but de cet article n’est pas d’apporter des nouveautés sur l’Apc. Il s’agit plus simplement de développer et de présenter aux lecteurs, pour les apprécier, quelques réflexions qui concernent les représentations de l’Apc par les acteurs pédagogiques, a différents niveaux car en fin de compte, c’est seulement a leurs niveaux que nos interrogations didactiques pourront trouver des réponses appropriées aux questions suscitées. Ce sont ces représentations et le degré de leur réalisme qui détermineront le devenir de cette approche et la taille de l’engouement ou de la démotivation des enseignants pour ses apports.

0. CONTEXTUALISATION

Depuis quelques années, la notion de compétence commence a faire partie, de manière substantielle de notre paysage éducatif, a l’instar de beaucoup d’autres pays. En effet, elle est la dernière des méthodes proposées pour notre enseignement, notamment du français. Elle est considérée pour un nombre de plus en plus croissant de responsables du système éducatif comme une réponse pertinente aux problèmes des échecs scolaires qui touchent une grande partie de nos élèves. Ce qui pose problème, c’est que cette question démarre a chaque fois en termes pédagogiques et méthodologiques et dévie très vite vers des réflexions d’ordre et de nature psychologiques ou philosophiques qui peuvent être exprimées, par exemple, de la façon suivante :

– Quel est le degré de compatibilité de cette approche avec la nature de l’apprenant ?
– Quel est son degré de fiabilité dans le domaine de l’apprentissage scolaire ?
– Quelle est sa capacité a assurer tel ou tel type de savoir ? etc.

Mais plutôt que de nous engager dans ce débat, sans l’esquiver totalement, nous préférons, d’abord signaler que cette notion est devenue une réalité incontournable dont le statut ne réside plus au niveau de la négociation de son admission ou de son rejet mais au niveau de sa faisabilité puis reformuler les questions précitées de manière a les rendre plus proches de nos préoccupations :

– Quel est le degré de fiabilité de cette approche dans le cadre d’un enseignement spécifique tel que l’enseignement public marocain ?
– Quelles sont les représentations qui en sont faites par différents acteurs pédagogiques, dans notre système éducatif ?

c’est a peu près a ces interrogations que notre article tentera de répondre en faisant défiler les différentes représentations.

1- REPRESENTATION ILLOCUTIONNAIRE

Elle désigne la représentation de l’émetteur qui se confond, dans notre cas, avec l’Institution.

En règle générale, toute innovation didactique apparaît aux limites de celles qui la précède et peu importe que celle-ci ait duré des siècles ou seulement quelques années. Quand on s’aperçoit que les résultats déclinent, que l’échec se généralise et s’intensifie, alors on se tourne vers d’autres pratiques. c’est ainsi que l’Apc succède a la Ppo (Pédagogie par objectifs) car aux yeux de l’Institution, cette dernière pêche gravement par un ensemble d’imperfections qui seraient responsables de la médiocrité des résultats. Il s’agit noitamment de :

– l’excessive atomisation de la matière d’enseignement
– l’établissement abusif de cloisons entre les activités
– Le peu d’intérêt accordé aux savoirs transversaux
– l’importance exclusive aux seules situations scolaires

L’Apc quant a elle, préconise globalement :

– Le regroupement, a chaque période, de toute la matière d’enseignement autour d’un certain nombre de pôles ou de compétences.
– La systématisation de l’enseignement de ce qui est convenu d’appeler les compétences transversales de l’enseignement des savoirs disciplinaires.
– Le développement, chez l’apprenant, de l’aptitude a mobiliser des ressources intégrées pour résoudre des problèmes dans diverses situations.

Dans cette optique, l’enseignement ne s’organisera plus en termes de comportements ou de listes de matières ou de contenus mais en termes de ressources intégrées qui se mobiliseront et se développeront a travers la résolution de problèmes et la réalisation de projets.

En résumé, pour l’Institution, l’Apc’est une stratégie prometteuse. Elle s’aligne sur les pays qui l’ont adoptée et se tourne vers ses concepteurs pour leur emprunter la théorie, la démarche et les instruments.

2- REPRESENTATION PERLOCUTIONNAIRE

Elle désigne la représentation des récepteurs qui sont les enseignants.

Il s’agit, ici, d’approcher leur manière de se représenter leur rôle par rapport a l’innovation en général, et dans le cas de l’Apc, en particulier.

De ce point de vue, on peut distinguer trois catégories :

2-1 d’abord, il y a ceux qui croient, de bonne foi, qu ils sont obligés de prendre en charge l’innovation dans son intégralité : côté théorique, côté méthodologique, construction des instruments, gestion de son programme, enfin tout et immédiatement. c’est une représentation sans doute erronée et de surcroît, fastidieuse qui génère au mieux, la réticence, au pire, le rejet.

2-2 Ensuite, il y a ceux qui succombent a l’effet de mode, adoptent facilement l’innovation, s’engagent sans réserve, proclament souvent et très tôt, de bonne foi, que tout est clair. Leur attitude et leurs déclarations ont généralement un effet pervers sur les plus modestes et sur les sceptiques. Ils n’osent plus parler de leurs problèmes pour ne pas étaler honteusement et publiquement leur ignorance.

3-2 Enfin, il y a les conciliants qui cherchent un rôle acceptable. c’est celui d’exécutant intelligent. Ce qui suppose :

a- Le devoir de s’informer par les lectures.
b- Le droit de se former dans des sessions de formation continue ou par la voie de l’encadrement pédagogique.
c- La possibilité d’exprimer l’opinion personnelle sur l’innovation dans les conseils d’enseignement ou lors des rencontres pédagogiques.

Ce sont la trois représentations contrastées. Elles génèrent une multitude de discours, de conduites, de pratiques et entraînent la confusion, voire le chaos parmi les enseignants.

3- LA REPRESENTATION PERCEPTUELLE

c’est le mode d’accès a tout ce qui constitue les soubassements théoriques de l’innovation, en l’occurrence l’Apc. Dans ce cas très précis, les discours qui ont introduit et accompagné cette notion ont posé de sérieux problèmes, en raison d’abord, de leur abondance, ensuite, de leur diversité, voire même, de leur divergence. Toujours dans ce cas, on relève l’utilisation, probablement sans précautions suffisantes, dans une acception nouvelle, un lexique qui est déja établi dans nos têtes avec des valeurs sémantiques données. Nous citerons, a titre d’exemple seulement, le mot compétence :

a- Il a, avec ses dérivés, une signification dans le langage courant. On dit de quelqu un qu il est compétent dans un domaine donné pour louer sa capacité a y accomplir certaines tâches.
b- Il a une signification plus spécifique en linguistique où il désigne ” la connaissance implicite de la langue, le système intériorisé des règles qui permet au cerveau de comprendre et de produire un nombre infini d’énoncés”.
c- Depuis l’avènement des Apc, il a une signification, quoique non encore arrêtée, dans les sciences de l’éducation. Selon le théoricien le plus connu, Philippe PERRENOUD, c’est la faculté de mobiliser un ensemble de ressources cognitives pour faire face avec pertinence et efficacité a une famille de problèmes.

Cette situation, assurément inconfortable, de l’incertitude et de l’instabilité du concept est très gênante pour les praticiens que nous sommes. Pour autant, elle ne doit pas nous bloquer. La solution, dans le contextes professionnel qui est le nôtre consiste a se positionner dans la zone ” enseignant”, a adopter la représentation ” perlocutionnaire” conciliante et a s’en tenir aux définitions et aux conceptions retenues par l’Institution et qui paraissent dans ses documents officiels. Pour nous, enseignants, est compétence ce qui est consigné dans ces pièces comme telle et est approche par compétences ce qui y est recommandée. Toute spéculation terminologique est vaine.

4- REPRESENTATION METHODOLOGIQUE

On peut distinguer dans l’Apc comme dans toute innovation trois niveaux :

a- Un niveau de conceptualisation, de théorie. Il correspond a l’état parfait de la notion et de l’approche.
b- Un niveau de transposition didactique qui rapproche la théorie de ses usagers potentiels.
c- Un niveau de mise en œuvre pratique. La réussite de cette étape est évidemment tributaire de celle qui la précède. Or, dans le cas de l’Apc, nous avons le sentiment que la seconde phase a été ou négligée ou précipitée d’où les nombreuses difficultés qu on mentionne régulièrement.

Il n’en reste pas moins vrai que méthodologiquement parlant, le professeur a deux principales tâches :

a- effectuer des cours dans la perspective nouvelle.
b- Superviser la conception et la réalisation d’un certain nombre de projets.

Pour la première tâche, les manuels ont réglé, selon la conception officielle appuyée sur les spécialistes confirmés, la question de la détermination des compétences globales (CG), des séquences qui leur correspondent et ont même indiqué les objectifs opérationnels des différentes activités. Le professeur pourrait tout au plus réviser, a sa guise, les supports, les préparations qui les accompagnent ou les exercices qui les suivent.

Pour la seconde tâche (écriture d’une pièce de théâtre ou élaboration d’u journal, par exemple) le degré de sa faisabilité dépend de la nature de représentation que s’en fait le professeur. Une représentation de type et de qualité professionnelles met le projet hors d’atteinte. Une représentation plus modeste, plus réaliste, de type amateur le met tout a fait a la portée.

5- REPRESENTATION IDEATIONNELLE

L’avènement de l’Apc dans notre paysage éducatif nous a fait prendre conscience que nous ne nous entendons pas sur cette notion et sur ce qu elle recouvre. Plus surprenant encore, d’un moment a un autre, nous changeons nous-mêmes d’avis sur sa compréhension et sur son interprétation. On se demande si on a eu raison de comprendre ce qu on a compris et d’enseigner comme on a enseigné.

c’est alors que j apporterai, avec l’autorisation des lecteurs, ma modeste contribution au débat philosophique décidément incontournable. Un savoir nouveau ne se présente jamais a l’état achevé, fini et parfait. Comme disent les constructivistes, un nouveau savoir se construit progressivement. Il met un temps pour se percevoir, un autre pour se transformer et un autre encore pour s’autoréguler, pour reprendre les propres termes de PIAGET. Au cours de ces processus, il passe par des moments de flottement. Nous sommes encore dans ces moments de flottement qui correspondent au passage d’un mode vers un autre, de valeurs vers d’autres. Nos erreurs ou nos dérives ne sont pas le fait de l’ignorance individuelle. Elles correspondent a un état général. Il n’ y a aucun mal a s’informer et a regarder auitour de nous, notamment en France, en Belgique ou au Canada.

6- CONCLUSION

J atteins le terme de ma réflexion. J ajouterai seulement que l’Apc’est processus qui est en cours d’élaboration et de construction, que l’étape actuelle (elle peut durer encore) concerne la gestion de cette approche et non l’évaluation de ses résultats et que le plus urgent est de ses mettre d’accord sur l’acception et l’importance a donner a cette notion de manière unilatérale par l’ensemble de ses acteurs pédagogiques, dans un partage des rôles qui ne va pas jusqu a l’étouffement dans les cadres rigides.

Réécrit a El Jadida le 17/09/2009

Ahmed Benhima
Eljadida.com

Auteur/autrice