Rencontre autour de : EDMOND AMRAN EL MALEH

« Ecrivant en Français, je savais que je n’écrivais pas en français, il y avait cette singulière greffe d’une langue sur l’autre, ma langue maternelle l’arabe, ce feu intérieur. »
Edmond Amran EL MALEH, le magazine littéraire, mars 1999.

Edmond Amran El Maleh EL MALEH est né en 1917 a Safi au sein d’une famille juive originaire d’Essaouira. Responsable du Parti Communiste Marocain (alors clandestin), il milite pour l’indépendance nationale du Maroc. Puis cessant toute activité politique, il quitte le Maroc en 1965, après les émeutes de Casablanca, où il fut arrêté pendant une courte durée.

EL MALEH devient professeur de philosophie et journaliste a Paris. Et ce n’est qu en 1980, a 63 ans, qu il se met a l’écriture de romans et d’un recueil de nouvelles :

– Lettres a moi-même, le fennec 2010.
– Une femme, une mère, la pensée sauvage, éditions Lixus, 2004.
– Mille ans, un jour, la pensée sauvage, 1986, le fennec, 1990, réédités par André Dimanche, 2002.
– Parcours immobile, Maspero, 1980, réédité par André Dimanche 2001.
– Ailen ou la nuit du récit, la Découverte, 1983, réédité par André Dimanche, 2000.
– Le café bleu, zrirek, La pensée sauvage, 1999.
– Abner Abounour, La pensée sauvage/ Le fennec 1996.
– Le retour d’Abou El Haki, La pensée sauvage, 1990.
-Jean Genet, Le captif amoureux et autres essais, La pensée sauvage/ Toubkal, 1988.

Pour les habitués a classer les œuvres littéraires par catégorie, Edmond reste « scandaleusement » inclassable : pas de thématique unique, mais une diversité, une originalité, qui ne répondent a aucun critère connu. Nous sommes face a un style proche de l’oralité (darija), de la réalité quotidienne.

Cet alchimiste du verbe au parcours complexe est aussi sans doute le critique d’art le plus sincère quant a son approche des arts marocains.
Ses écrits sont tous imprégnés d’une mémoire juive et arabe qui célèbre la symbiose culturelle d’un Maroc arabe, berbère et juif. Ils représentent autant d’aller-retour d’une langue a une autre et d’une culture a une autre.

Tel un peintre, il cherchait des mots qui puissent traduire les couleurs, la lumière, l’ombre, les contrastes des mots capables de happer le lecteur, de l’envo»ter totalement, de l’imprégner, afin de le placer dans le contexte voulu.

Excellent cuisinier lui-même, il voulait que ses mots soient humés, savourés, dégustés, pour éveiller les 5 sens du lecteur !

Grand perfectionniste, chaque écrit avait une signification précise, renvoyait a un fait réelune sorte d’autobiographie qui ne disait pas son nom. Autant de figures philosophiques pour EL MALEH, qui lui permettaient de créer patiemment une sorte d’ambiance, d’esthétique, de tissage, de passerelles avec d’autres auteurs, pour la réalisation de véritables œuvres d’art.
Il avait cette particularité, avec Khaireddine et Mohamed LEFTAH, de pouvoir être lu et relu, sans jamais que l’on ait l’impression de relire le même livrede go»ter au même « Tagine ».

L’auteur usait dans ses écrits, d’une structure de surface et d’une structure plus profonde. Dans son premier livre « Parcours immobile », l’usage de l’Oxymore (juxtaposition de deux termes contradictoires) est assez révélateur de ce style propice a dénoncer le Surplace et le Blocage, qui caractérisaient le marasme social, économique, culturel que l’auteur voulait dénoncer.

« Parcours immobile » (son premier livre), peut constituer a lui seul, une sorte de fil conducteur, capable de percer le secret derrière ces « plats succulents », concoctés et cuits a petits feux, qu il a nous sert.

Comme Proust, il était asthmatique, et comme lui, il lisait énormément. Pendant 63 ans, l’homme n’a fait que lire et sans doute aussi écrire, mais sans intention de se faire publier. EL MALEH se contentait pour toutes publications, des communiqués de presse qu il écrivait pour le compte du Parti Communiste et plus tard dans le journal Le Monde en tant que pigiste.

Loin de tout conformisme, nous pouvons affirmer que l’œuvre d’EL MALEH a marqué de façon décisive une nouvelle sensibilité littéraire, reflétant des composantes essentielles de l’histoire et de la mémoire du Maroc. Il a reçu en 1996, le Grand Prix du Maroc pour l’ensemble de son œuvre.

Edmond Amran El Maleh est décédé le lundi 15 novembre 2010 a Rabat a l’âge de 93 ans. Son corps repose a Essaouira dans le cimetière des Marins, face a la mer pour exaucer son dernier souhait.

Son ultime et magnifique geste : Faire don de sa bibliothèque a LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE DU ROYAUME du MAROC.

Lors des « Agora » qu EL MALEH avait pour habitude d’organiser souvent chez lui, il précisait fréquemment a ses amis journalistes et autres, avant de les quitter : « Et n’oubliez pas que j oublie ».

Repose en paix cher Amran, nous ne t oublierons jamais.

Abdellah HANBALI
L’OPINION

Auteur/autrice