RENCONTRE AVEC LES CHIENS DE MER DE MAZAGAN ou REQUINS MAZAGANAIS

En cet été 58, jeunes ados et chasseurs sous-marins passionnés, nous écumions régulièrement le littoral mazaganais. Nous étions nourris de lectures, relatant des aventures exotiques subaquatiques qui nous faisaient rêver. Les requins y tenaient une place essentielle

Tôt le matin, j aimais assister a l’arrivée des pêcheurs accostant leurs lourdes barques dans la darse du bastion de l’ange. Sur le quai, ils commençaient alors le transfert de leurs longs filets emmêlés, chargés des prises de la nuit. Les captures consistaient principalement en raies aigles et pastenagues, toutes deux armées d’un terrible dard. J étais surtout intéressé par les nombreux chiens de mer entortillés dans les mailles a l’issue d’un farouche combat. Cette espèce appelée aiguillat (Squalus blainvillei) possédait une épine acérée a l’avant de chaque nageoire dorsale. Elle dépassait rarement le mètre et ressemblait exactement aux squales de nos lectures. Par quel mystère nous n’en croisions jamais durant nos incursions sous-marines ?

Un après-midi, avec quelques camarades convertis a mon activité favorite, nous décidions une sortie aux Aloés. Situé a égale distance du phare de Sidi Bou Afi et de la plage de Sidi Bouzid, a proximité de l’épave de l’Azemmour, ce coin était l’un des plus poissonneux que nous connaissions, tout proche de Mazagan. Après de multiples repérages, nous savions qu il fallait nous immerger au-dela des peiskeiras (pièges a poissons, constitué d’une muraille de pierres en arc de cercle), a la limite extrême des roches émergées. La s’étendait un grand bassin ne dépassant pas deux mètres de profondeur. l’astuce consistait a choisir le moment précis de la marée montante.

Plusieurs dalles bien creuses servaient d’abris a des bancs de sars. Nous engagions la tête en positionnant lentement sur le fond notre arbalète. Une fois nos yeux accoutumés a l’obscurité, nous nous trouvions face a un mur d’argent vivant. Les sars s’entrecroisaient avec confiance jusqu au premier tir. Nous remontions alors deux, voire trois prises frétillantes sur la même flèche. Le « sauve qui peut » général et la désertion rapide et totale de tous les occupants de la rague nous obligeaient a en chercher une nouvelle.
Le flot remplissait progressivement le bassin par plusieurs couloirs naturels. Une main accrochant la roche, nous nous postions a leur sortie, immobiles, face au courant rentrant de plus en plus puissant. Les yeux écarquillés nous attendions l’arrivée des escadrilles de mulets, de saupes ou de massif carnassier solitaire comme le loup. Quelle ne fut pas ma surprise, ce jour-la, de me trouver nez a nez avec un chien de mer de belle taille, évoluant entre deux eaux, complètement indifférent a ma présence, recherchant ses friandises favorites : crustacés et mollusques particulièrement vulnérables a ce moment de la marée. Stupéfait par cette apparition inattendue, le cœur battant a tout rompre, je ne le quittais pas des yeux, fasciné par l’élégance de son déplacement. Il disparut hélas trop vite de mon champ de vision. J en profitais pour alerter mes copains en hurlant plusieurs fois « REQUIN ». Pour occuper l’espace au maximum, nous nous organisions aussitôt en plusieurs binômes, espérant le revoir et, pourquoi pas, le capturer. Au paroxysme de l’excitation, nous regardions dans toutes les directions, nos têtes mobiles comme montées sur des rotules. Il fit une apparition très fugitive, mais semblait a présent perturbé par notre présence et nous évitait systématiquement. La masse d’eau commençait a submerger les premières peiskeiras : nous l’avions perdu !

Nous ressentions tous a l’issue de cette journée mémorable que cette vision marquerait un cap dans notre vie de chasseur palmé. Nous pouvions maintenant espérer en revoir et pourquoi pas d’autres espèces comme le requin marteau ou le requin peau bleue, plus rare et potentiellement dangereux celui- la.

Cet espoir sera vain, puisque ma famille quittera Mazagan a la fin de cet été-la, pour tenter une nouvelle vie en France.
J ignorais alors que, dix ans plus tard, devenu adulte, je viendrais m installer dans le Pacifique Sud, sur un archipel magnifique, la Nouvelle Calédonie, considérée comme le royaume des requins l’aventure sous-marine y fut au-dela de mes espérances et continue encore aujourd hui.

Pierrot LARUE
Eljadida.com

Auteur/autrice