Sous les eaux mazaganaises

Mazagan 1956. Pour l’enfant que j étais, le simple fait de côtoyer quotidiennement l’océan me comblait de bonheur. J appréciais ses humeurs changeantes en respirant l’odeur iodée du rivage, en pataugeant dans les retenues d’eau a marée basse. Je m intéressais a toutes les formes de vie du bord de mer. Bien évidemment, comme beaucoup de gamins je pêchais a la ligne les sars, les vaches, les gabottes et les éperlans du haut de la grande jetée du port.

Un choc déterminera une passion dévorante encore aujourd hui intacte : ma première vision sous-marine. Un après-midi d’été, équipé d’une paire de palmes, d’un masque et d’un tuba, je m immergeai a gauche des ruines du casino de la plage. Certes, la visibilité ce jour la ne dépassait pas 2 mètres. Je survolais a faible profondeur un fond sablonneux où quelques rares prairies ondulant avec le ressac permettaient aux petits poissons d’évoluer. J ai compris immédiatement et intuitivement que ce monde me promettait de grandes joies futures. Pour moi, l’aventure avec un grand A se trouvait incontestablement au fond de la mer.

A l’époque, très peu de gens a part les frères Barraud pratiquaient cette activité. La houle océanique souvent importante, les crues de l’Oum Er Rbia rougissant la bande côtière, la fraîcheur des eaux et l’utilisation d’un matériel spécifique nouveau, décourageaient les amateurs.

Très vite je fis la connaissance de Jean Pierre Guilabert, mon proche voisin d’un an mon aîné. Plus expérimenté que moi, il partageait cet intérêt avec un véritable pionnier pour l’activité sous-marine de notre ville, son oncle Jean Gonzales, dit Jeannot. Devant mon enthousiasme ils acceptèrent de me faire découvrir en jeep, tous leurs coins secrets disséminés le long des 15 km du littoral rocheux au sud du phare de Sidi bou Afi. Ces endroits portaient tous un nom : « la Baie, les Aloès, les Couloirs, le Homard » etc. Après les dunes de Sidi Bou Zid et la tour isolée de Moulay Abdallah, les mythiques falaises du Cap Blanc délimitaient notre terrain de jeu préféré.

Jeannot s’amusait a nous voir progresser, grâce a une farouche mais saine rivalité, dans la capture au fusil harpon de prises bien modestes. Notre mentor, au dessus de la mêlée, « cartonnait » un maximum en ramenant sars, tambours, saupes, mulets, loups. Un soir je l’admirais harponner une puissante sargane dépassant les 5 kg. Nous progressions de jour en jour. Nous apprenions a décoder progressivement les courants de marée, a négocier avec la houle nos entrées et surtout nos sorties de l’eau souvent acrobatiques. Notre souci permanent consistait a éviter un crash périlleux pour nos membres fragiles et vulnérables sur les roches acérées et glissantes. A force de ruse, nous devenions de plus en plus précis dans la connaissance du comportement du monde de l’écaille. Chaque immersion nous réjouissait par la vision d’étranges spectacles sans cesse renouvelés.

Souvent la rencontre avec une créature marine sortie soudainement du néant, provoquait dans tout notre corps une forte montée d’adrénaline. Nous aimions ça ! Jeannot ne cessait de perfectionner le matériel en bricolant arbalètes, ceinture de lest où accroche poissons. Il réussit a concevoir une boîte étanche métallique « gonflable », pour y loger astucieusement mon antique appareil photo familial a soufflet. Pour lutter efficacement contre le froid, il fut l’un des premiers a s’habiller d’une combinaison isothermique. En hiver nous tentions de le suivre avec deux couches de pull-over sur le torse. Nous ressortions moins d’une demi-heure après, les doigts engourdis complètement frigorifiés. Bref, que du bonheur ! Lorsque l’océan s’apaisait plusieurs jours de suite, on pouvait espérer une sérieuse amélioration de la visibilité. Et quand les conditions devenaient exceptionnelles : mer d’huile, clarté de l’eau approchant les 10 mètres, la tentation de plonger devenait impérieuse. Pour profiter de ce moment rare, j ai fait plus d’une fois « le collège buissonnier » sans aucun état d’âme, au grand dam de mes parents, prévenus le lendemain par mes profs venus chercher leur pain !

Dans notre sillage nous faisions des émules. Nous avions converti Yves Abert, Pierre Vesperini et nos copains du « plateau » : Christian Cristin, François Deloye, Yves Lecocq, Charles Sintes, Alain Mathieux et j en oublie certainement d’autres. c’est a bicyclette que nous nous déplacions. Nous profitions goul»ment de cette nature marine en toute liberté.
Merci a tous ces amis d’enfance, avec lesquels j ai partagé ces moments précieux et inoubliables, avant mon départ définitif pour la mère patrie.

A suivre…

Pierrot LARUE ( Mazagan de 49 58)
Eljadida.com

Auteur/autrice