Entretien avec une enseignante chercheur a l’école nationale forestière de Salé
Les lagunes de Sidi Moussa et de Oualidia, seraient en danger ! Tout un écosystème qui, si l’on n’y prend pas garde, risque d’être perturbé de façon irréversible. Un patrimoine écologique disparaîtrait ainsi, avec, comme conséquence, de nombreux emplois perdus (la lagune fait vivre des dizaines de familles !) et tout un environnement promu a un avenir touristique qui serait compromis !
Zineb Benrahmoune Idrissi, botaniste et écologiste, enseignante chercheur a l’Ecole Nationale Forestière d’Ingénieurs de Salé, et également Présidente de l’Association Maroc Nature et Culture, une ONG dont les avis sont souvent sollicités sur le plan national comme international, s’est rendue récemment sur le terrain avec quelques membres de son association, accompagnée également d’un représentant a la fois de l’INRH mais aussi de la FEDER (Association Femme et Développement Rural). Elle dresse, pour les lecteurs du Matin, un constat des lieux.
Q– Le Matin : Si vous permettez pouvez-vous nous expliquer quels rôles jouent les lagunes de Sidi Moussa et de Oualidia pour l’équilibre de la nature ?
R– Zineb Benrahmoune Idrissi : La lagune de Sidi Moussa comme celle de Oualidia sont avant tout des zones humides d’importance inestimable parce que ce sont de véritables supports de chaînes alimentaires, offrant aussi bien pour la flore que pour la faune, des habitats. Elles constituent particulièrement des « nurseries naturelles pour plusieurs espèces marines» (mollusques, crustacés et poissons) et des lieux de refuge aux oiseaux d’eau migrateurs et sédentaires.
N oublions pas que ce sont des écosystèmes spécialisés qui jouent un rôle de zones tampons dans la protection du littoral, grâce auxquelles l’effet des forces érosives des vagues et du courant est réduit. Aujourd hui, ces lagunes sont reconnues par l’Etat, a travers le Plan Directeur des Aires Protégées, comme des zones humides d’une grande importance biologique et économique et comme Sites d’Intérêt Biologique et Ecologique (SIBE) de première priorité, c’est-a-dire qu on doit agir (en terme de protection) très rapidement afin de les préserver
Q– Maintenant quel est l’état de ces lagunes ?
R– Pour ceux qui se promènent, tout va très bienCes lagunes offrent de beaux paysages de plans d’eau entourés de verdure et bordés a l’Ouest par l’océanMais quand on évalue en profondeur leur situation, le diagnostic n’est pas très bon ! Les lagunes sont polluées, surexploitées, agressées par les constructions ça et la etc. La pollution? Regardez autour des lagunes: La verdure ?
Vous verrez non pas une végétation naturelle mais des cultures maraîchères avec comme support du sable (dunes) naturellement très peu ou pas fertile, donc qui nécessitent un apport important de fumier, d’engrais et forcément de pesticides et autresLe lessivage de tout cela se fait automatiquement vers l’aval, donc vers les lagunes. Rares sont les habitations qui, semble-t-il, ont des fosses septiques ; elles déverseront alors leurs eaux usées dans les lagunes ?
L’équilibre de ces écosystèmes lagunaires dépend également et de façon étroite du fonctionnement de leur connexion avec la mer. l’installation des salines et autres provoque progressivement leur obstruction complète avec le comblement des passes, ce qui entraîne a long terme des transformations et des altérations non négligeables de leur hydrologie et de leurs peuplements.
Q– Mais il faut bien constater que tout autour de ces lagunes, il y a des agriculteurs qui font vivre eux aussi des dizaines de familles. n’est-ce pas un dilemme difficile : ou le sauvetage des lagunes, ou l’avenir de ces familles qui vivent de l’agriculture?…Quelles solutions préconiseriez-vous pour que tout le monde y trouve son compte ?
R– Oui bien entendu que ces lagunes sont économiquement importantes puisqu un grand nombre de familles vit de leurs produits ! Bien entendu que le maraîchage permet a un grand nombre de travailler et de subvenir a leurs besoins ! Mais ce ne sont pas des activités durables. Aujourd hui, on le constate a Sidi Moussa, la lagune qui offrait les plus belles écloseries naturelles de palourdes ne peut plus être exploitée car elle est polluée et classée zone c’par le Ministère des Pêches maritimes.
Qui sont les premières victimes ? Ce sont ces femmes (une centaine) qui exploitaient cette zone et faisaient vivre leurs familles. Quant aux terrains de cultures, ils absorbent de plus en plus d’engrais, fumiers et pesticides, avec toutes les répercussions que cela peut engendrer sur les produits et sur la santé humaine, sans parler des conséquences de plus en plus désastreuses sur les lagunes.
Alors les solutions a préconiser ? Ce n’est pas en quelques lignes ni avec une baguette magique que les choses peuvent s’arrangerIl n’y a pas non plus de recette a appliquerD abord il faut que les autochtones et les responsables (autorités locales, élus, ONG, etc.) soient vraiment conscients de la grande valeur de ces écosystèmes et des problèmes qui risquent de se poser vis-a-vis de leur santé et pour leur sécurité alimentaire. Il faut ensuite une véritable volonté politique de trouver des alternatives de façon progressive.
Est-ce qu il y a, par exemple, des contrôles réguliers qui se font quant aux quantités et doses de fumiers, d’engrais et de pesticides, utilisés dans cette région ? Les gîtes et diverses maisons d’hôtes qui s’installent progressivement dans la zone, où vont-ils déverser leurs eaux usées ? Ont-ils été précédés d’études d’impact, de faisabilité ? Prennent-ils en compte l’architecture locale, les besoins socio-économiques locaux ? etc.
Q– Par quel bout prendre le problème ? Qui peut inciter ces familles a changer de mode de vie, dans la mesure où cela relève de la sphère privée, même si la lagune fait partie des zones classées SIBE (Site d’Intérêt Biologique et Ecologique)
R– Il y a naturellement des problèmes de sécurité alimentaire et des problèmes de santé qui sont mis en jeu et qu il va falloir résoudre un jour ou l’autre, et le plus tôt sera le mieux. Mais aussi, ce qui peut inciter les familles a changer leur mode de vie c’est d’abord une volonté politique qui apporterait des alternatives
Des alternatives dans l’agriculture, peut-être dans d’autres types de cultures moins consommatrices d’engrais et de pesticidesIl faut faire des essais pilotes sur quelques parcelles avec certaines personnes qui seraient volontaires pour tenter lexpérience. Dès qu une expérience réussit, les gens suivent
En tout cas il faut essayer autre chose, on ne peut pas continuer a agir de la même façonD autres alternatives ?Dans le tourisme, par exemple ; mais pas un tourisme de masse qui détruit davantage qu il n’apporte. Le tourisme écologique, ou le tourisme équitable est un tourisme durable, mais a condition qu on respecte ses principesIl ne se fait pas n’importe comment. Ce n’est pas en installant un gîte sur les dunes, n’importe où et n’importe comment qu on prétend faire de l’écotourisme.
Le produit qui doit être offert au visiteur «écotouriste» est un environnement sain, des lagunes non polluées, qui offrent des paysages naturels d’une grande beauté, une végétation naturelle a découvrir, des oiseaux a observer, des sentiers a parcourir, une architecture locale a valoriser etc.
c’est ce produit (c’est-a-dire une biodiversité préservée) qui permettra de générer des revenus a long terme, des emplois et des opportunités économiques, avec des bénéfices qui seront avant tout partagés avec les populations locales et les habitants de la région
Q– Si aucune mesure n’est prise, et sans être alarmiste, comment voyez-vous l’avenir de ces lagunes de Sidi Moussa et de Oualidia, a plus ou moins brève échéance ?
R– l’avenir de ces lagunes, on commence déja a le voirLes constructions ça et la sans, apparemment, aucun plan d’aménagement réfléchiLes palourdes, c’est fini a Sidi MoussaIl y a aujourd hui plusieurs dizaines de familles qui ne peuvent en dépendrea moins que des exploitations se font de façon illicite (ce serait grave !) Demain, on va découvrir que les produits maraîchers de la zone ne peuvent plus être consommés a cause des produits toxiques qu ils contiennent
Avec la pollution de plus en plus importante qui est lessivée vers les lagunes, on assistera au développement excessif d’algues et autres plantes aquatiques dans les lagunes, au comblement progressif des passes (car n’oublions pas que les lagunes sont des écosystèmes étroitement dépendant du fonctionnement de leur connexion avec la mer), puis l’obstruction complète de ces passes, et donc c’est tout un système qui sera déséquilibré (modifications de l’hydrologie et des peuplements floristiques et faunistiques)Il faut de temps en temps être alarmistec’est grâce a ça qu on a pu mettre en place des conventions internationales, qu on a tiré des sonnettes d’alarme et tenté de trouver des remèdes ailleurs!
Et si votre appel était entendu, comme celui que d’autres responsables ont lancé, quelles pourraient être les nouvelles chances de ces sites ?
Les nouvelles chances ! Au moins que Sidi Moussa ne soit plus une Zone c’et que la situation n’empire pasMais j insiste sur la volonté politique. Les responsables locaux doivent prendre les choses en main et le plus tôt sera le mieux
Q– Vous avez mis a profit votre séjour dans la région d’El Jadida pour visiter la Cité portugaise que beaucoup de membres de votre association ne connaissaient pas. Quel regard avez-vous porté sur ce patrimoine ?
R– Voila un site que beaucoup de nationaux ne connaissent pas, et qui pourraient également intéresser le tourisme international. Quand on parle d’El Jadida, on évoque ses plages mais on oublie que c’est une ville qui porte toute une histoire absolument fabuleuse a connaître et a valoriser.
c’est une ville qui vaut vraiment le détour.Faire une visite guidée a partir de la ville (cité portugaise, ruelles anciennes etc.) vers les environs en passant par les tazotas de la région d’Had Ouled Frej, Moulay Abdellah, promenade sur les lagunes etc. Voila des itinéraires très intéressants pour un week-end qui rapporteraient localement et généreraient des revenus intéressants !
Vous avez également rencontré les responsables de l’association de la Cité Portugaise, et vous avez décidé d’entreprendre une coopération entre vos deux associations.
D abord quel immense plaisir et combien on valorise et combien on apprend en se faisant guider par des ressources locales qui connaissent parfaitement les lieux ! Notre action, elle est très simpleElle consiste a tirer des sonnettes d’alarme quand il le faut et a valoriser les ressources locales et a les faire connaître, par nos connaissances, par nos écrits, par nos projets, et surtout a travers les voyages que nous organisons.
Nous essayons a chaque fois de déclencher une dynamique, montrer ce qui se fait de positif et qui mérite d’être davantage valorisé mais aussi mettre en garde sur ce qui est négatifde donner notre avis, bien entendu pour les choses que nous prétendons maîtriser et entrent dans nos prérogatives.
Nous l’avons fait avec des guides de montagne et notamment ceux qui exercent dans le Parc National du Toubkal, qui sont des gens absolument extraordinaires, de véritables «ambassadeurs du Maroc», nous l’avons fait avec plusieurs petites associations locales.
Aujourd hui, grâce au Programme de Micro financement du Fonds pour l’Environnement Mondial (PMF/FEM) dépendant du PNUD (Programme des Nations Unis pour le Développement), nos actions seront mieux canalisées, nous lançons un nouveau projet qui s’intitule Contribution a la conservation de la Biodiversité (diversité biologique et diversité culturelle) dans différents sites du Maroc (dont les lagunes de Oualidia-Sidi Moussa) par le renforcement et l’appui au développement de l’écotourisme.
Nous avons la légitime ambition de croire que nous pouvons contribuer a l’amélioration et au développement de l’offre écotouristique et la gestion des ressources naturelles, mais aussi une grande volonté de croire que nous pouvons aider a améliorer les politiques écotouristiques régionale et nationale.
Mais cela ne peut se faire sans la collaboration des associations qui oeuvrent localement : l’association de la Cité Portugaise, l’association FEDER et la coopérative féminine d’élevage des palourdes sont des ONG dont nous voulons valoriser les actions et avec lesquelles nous voulons collaborer en priorité dans la région
Q– Enfin, Mme Benrahmoune, vous venez de publier aux Editions Scriptura, un ouvrage remarquable, un guide floristique illustré, sous le titre : Invitation a l’Amour des Plantes . Pouvez-vous nous présenter cet ouvrage ?
R– Grand merci pour «remarquable». c’est un ouvrage que j ai eu beaucoup de plaisir a écrire et a partager avec ma grande amie Chantal Dubruille qui est Professeur agrégée en Sciences de la Vie et de la Terre.
c’est une somme de connaissances en botanique qui est mis a la disposition du lecteur, qui incite a la découverte, a la connaissance, a l’amour de la nature.
La nature si généreuse nous livre ses mille et une vertus. Elle regorge de potentiels de vie encore inexprimés et qu on ne connaît pas, ou du moins qu on ne cherche souvent pas a connaîtrealors qu ils peuvent nous servir un jour, pour se nourrir, pour se soigner, pour s’embellir etc.
Parfois, c’est trop tard, ces richesses peuvent disparaître a cause d’une bêtise humainec’est donc une véritable invitation a aimer les plantes et a les découvrir, a connaître leur histoire, leurs divers noms, leurs usagesGrâce a Chantal, nous avons de magnifiques photos qui suscitent davantage la curiosité du lecteur et du promeneur, pour le plaisir des yeux
Et puis il y a une rubrique que vous ne trouverez dans aucun autre livreUne rubrique qui nous appartient et qui s’intitule pour le plaisir de la connaissance raconte des histoires, vulgarise en quelque sorte la science pour la rendre a la portée de tout le mondeet surtout pousser a mieux connaître pour mieux apprécier.
Malheureusement bien souvent, on attribue a la connaissance un aspect plutôt scolaire et contraignant alors que la connaissance peut être avant tout une source de plaisir !
Propos recueillis par Abdelmajid Nejdi
Le Matin